Prix de l’AFPEAH – Collège (Pénélope 2024)

Prix de l’AFPEAH – Collège (Pénélope 2024)

« Sa Majesté Margaux de Blaye »,
une nouvelle écrite par

Eloi RIOU
Collège Léonard Lenoir – Bordeaux

Notre histoire se déroule en France, plus précisément dans le Sud de la France, là où le soleil tape sur l’océan, là où les troubadours content les exploits de mille chevaliers en armure d’argent délivrant maintes princesses aux cheveux d’or. Nous sommes en 1456, trois ans après la fin de la guerre de cent ans. Grâce à Dieu, la bataille de Castillon a mis un terme définitif à cette guerre mais à Blaye, en 1456, la cité est toujours en deuil car son Seigneur n’est pas revenu.

Treize ans plus tôt, Sire Charles de Blaye, puissant seigneur d’Aquitaine, dirigeait la cité de Blaye et il était alors plongé dans une grande perplexité. En effet, Bordeaux était tombée aux mains des Anglais. Les Bordelais étaient d’ailleurs fort satisfaits de cette situation :  maintenant qu’ils étaient dirigés par des Saxons, ils n’avaient plus du tout à se battre ! Sire Charles de Blaye n’ignorait pas que certains Bordelais s’étaient même engagés dans l’armée ennemie. Toute la Guyenne était contrôlée par les Saxons. Désormais, en Aquitaine, on se considérait la plupart du temps comme Anglais, parfois comme Gascon, rarement comme Occitan, mais en tout cas jamais comme Français. Blaye, heureusement, avait réussi à se tenir à l’écart de toute cette traîtrise. C’était sans aucun doute la seule ville d’Aquitaine qui n’était pas tombée aux mains des Bordelais et Charles de Blaye, qui aimait bien guerroyer, prit un jour une décision capitale : il allait bouter les Anglais hors de Guyenne. Il leva une armée de cent cavaliers équipés d’une armure blanche et montés sur cent chevaux noirs et il partit, laissant derrière lui la cité de Blaye mais aussi sa femme Margaux à qui il confia la citadelle pendant son absence. Mais dix ans plus tard, quand la guerre fut enfin terminée, Charles de Blaye n’était pas revenu. On attendit… en vain. Trois ans plus tard, toujours personne ! Aucun Blayais n’avait oublié le Seigneur bien- aimé mais la plupart avait perdu tout espoir de le revoir un jour. C’est donc dans ce triste contexte que notre histoire commence.

C’était une belle soirée d’été même si, songeait Margaux de Blaye, elle aurait été bien plus douce si elle avait été passée en compagnie du maître du château, son époux. Elle ordonna aux serviteurs d’apporter le dîner quand un garde fit irruption dans la grande salle.

-Majesté ! dit-il, le Duc de Poitiers est arrivé !
-Seigneur ! soupira Margaux, faites- le donc entrer !

Il faut savoir que la beauté de Margaux n’avait d’égale que son intelligence et, lorsque Charles de Blaye l’avait prise pour épouse, il avait rendu affreusement jaloux de nombreux seigneurs et en particulier son ennemi juré, le duc de Poitiers qui, maintenant, la pressait chaque jour de choisir un nouvel époux. Il ne doutait pas que le choix de Margaux se porterait sur lui. 

Margaux de son côté ne pouvait se résoudre à l’idée d’un nouveau mariage. Sa fidélité était totale et elle attendait chaque jour le retour de Charles.  Le Duc, bien qu’il fût également d’une grande beauté, ne lui plaisait pas ; tout en lui transpirait l’égoïsme et une grande sécheresse de cœur. Il se présenta sans même prendre la peine d’ôter son armure :

-Majesté, dit-il, savez-vous que depuis que votre époux est mort …

– Il n’est pas mort, coupa Margaux. Je le sens secrètement dans mon cœur.

– Sachez toutefois que d’après les règles établies dans le passé, une femme d’origine noble et qui se retrouve sans époux, se doit, une fois que le temps du deuil est écoulé, de revenir à la vie en société, de rechercher un nouveau mari afin de pouvoir lui donner une descendance. Tel est le rôle de la femme et vous devez vous y conformer. Cela fait trois ans que personne n’a revu Charles de Blaye dans toute la Guyenne. On peut donc le considérer comme défunt et je vous demande de choisir un nouvel époux d’ici une semaine. 

-Je vais y réfléchir et je vous prie de m’excuser. Je ne me sens pas très bien.

Margaux se leva et monta dans sa chambre. On ne la revit pas de la soirée. La semaine passa. Le lundi suivant, dès potron-minet, le Duc se présenta de nouveau ;

-Ma chère Margaux, vous êtes-vous décidée à choisir un nouvel époux ?

– Mon cher Duc, voilà ce que j’ai décidé. Je vais entreprendre la construction d’un palais magnifique qui nous servira de résidence à moi-même et à mon nouvel époux. Il n’est pas envisageable en effet pour moi de loger dans les mêmes lieux que ceux que j’occupais avec le Seigneur Charles où tout me rappellerait sa présence et m’empêcherait d’être entièrement dévouée à mon nouveau mari. Ce palais dominera la région de ses très hautes tours, tout l’intérieur sera somptueusement décoré et particulièrement la chambre conjugale. Quand le chantier sera achevé, nous y célébrerons mes nouvelles noces.

– Et qui sera le petit chanceux ?

– Diable Monseigneur, vous êtes trop impatient ! répondit en riant Margaux.

Et c’est ainsi que la châtelaine parvint à imaginer une stratégie pour repousser la date de son nouveau mariage. Chaque soir elle se levait et allait saboter le chantier. Certes elle n’était pas experte en maçonnerie mais elle se débrouillait comme elle pouvait. Elle tranchait une corde, déplaçait un morceau de bois ; détruisait une passerelle, effaçait les repères de l’architecte. Tout ça à la faveur de l’obscurité de la nuit. Le chantier n’avançait pas ou très peu. D’inquiétantes rumeurs se mirent bientôt à se propager : certains villageois prétendaient avoir vu, vers minuit, une ombre rôder sur le chantier. Le Duc en fut bientôt averti et il décida de tirer l’affaire au clair. Il ne lui fut pas difficile de prendre Margaux la main dans le sac et, surgissant soudain derrière elle, il lui dit :

-Alors, Madame de Blaye, on joue aux conspirateurs ?

La châtelaine sursauta. Elle qui était d’ordinaire si téméraire fut prise de frayeur. Elle avait traversé bien des obstacles mais elle sentait que maintenant l’étau se resserrait autour d’elle.  Elle allait devenir prisonnière, forcée d’épouser le Duc de Poitiers qui lui faisait horreur. Elle prit son temps avant de répondre, choisissant chaque mot et cherchant à anticiper les propos du Duc.

-Voyez-vous, je suis en proie à de terribles insomnies, depuis le départ de Charles. Je ne peux retrouver un certain répit qu’en marchant dans la nuit.

-D’accord, dit le Duc. Je veux vous prouver que je peux être un chevalier courtois et sensible. Je vous propose une solution qui satisfera la Dame douce et poétesse que vous êtes. Vous allez planter un rosier dans la Cour du Château et lorsqu’il aura fini de pousser, vous choisirez votre nouvel époux. J’espère que je vous aurai convaincu et que je serai celui-là.

-J’accepte, s’écria Margaux, trop heureuse de cette solution qui lui permettait de gagner encore un peu de temps.

Le Duc avait fait cette habile proposition, apparemment si généreuse. Il connaissait l’amour que Margaux éprouvait pour la nature et sa passion pour les plantes. Elle serait incapable de faire du mal à ce rosier !

Et effectivement le temps passa et le rosier grandissait grâce aux soins quotidiens que lui apportait Margaux. Il était devenu son ami. Elle lui confiait ses joies, ses peines, ses doutes, et surtout son espoir secret. Le Duc surveillait cette croissance avec attention et il estima un jour que le terme était venu.

-Margaux, il serait temps de prendre un nouvel époux.
-Ce sera fait demain, affirma-t-elle.
-Vous avez raison. La nuit porte conseil, répliqua le Duc en se frottant les mains.

Or, dans la nuit qui suivit, Charles de Blaye apparut dans les rêves de Margaux. Il était sale ; le sang et la poussière maculaient ses piètres guenilles. Mais il était bel et bien vivant ! Il dit à Margaux de ne pas s’inquiéter. Tout allait s’arranger le lendemain…

Tous les Seigneurs d’Aquitaine avaient été réunis en urgence sur une colline des environs et, le lendemain, quand Margaux arriva, elle chercha immédiatement à tous les identifier.  Le Duc prit la parole en premier pour exposer la situation et expliquer que ce lieu propice à l’observation lointaine avait été choisi pour vérifier une dernière fois que Charles de Blaye n’était pas en vue et pour acter sa mort définitive. Tout le monde approuva la démarche et le moment du verdict arriva. Margaux était assise, mélancolique, la tête penchée reposant sur sa main droite qui soutenait son front.

-Madame, avez-vous choisi votre nouvel époux ?

Les larmes se mirent à couler sur les joues de Margaux. Un brouhaha s’éleva dans l’assemblée des chevaliers.

-Décidons donc par un tournoi ! lança le Duc de Potiers. Ce sera la meilleure solution puisque le cœur de Madame de Blaye ne peut se résoudre à choisir …
-Oui !!! Vive le Duc de Poitiers !!!

Mais, alors que les deux premiers chevaliers se mettaient en place pour s’affronter en tournoi, on entendit un bruit de cavalcade : cent cavaliers en armure blanche montés sur cent chevaux noirs firent leur apparition. Ils étaient tous là !

-C’est Charles de Blaye et ses hommes !! Ils sont de retour !

Margaux était pétrifiée. Elle qui avait espéré si longtemps ce moment ne savait plus que faire.  Allait-elle reconnaître son époux, après tout ce temps passé ?

Lentement elle s’approcha du groupe de cavaliers et ceux-ci simultanément enlevèrent leur heaume. Ils se ressemblaient tous : barbe hirsute, visage fatigué.

Tandis que Margaux cherchait à retrouver, dans cette armée de compagnons soudés par les épreuves, l’époux qu’elle attendait et qu’elle avait pensé reconnaître facilement, elle entendit une voix : c’était celle des chênes, de l’herbe, des ruisseaux, la voix de la Nature qui lui murmurait à l’oreille :

-Laisse -toi guider par ton instinct. Celui auquel tu es liée pour cette vie et pour l’au-delà est celui dont le regard est le plus pur.

Et, parcourant des yeux toute la troupe qui était devant elle, elle le reconnut. Lui, Charles de Blaye, le Maître du Château. Tremblante, elle s’approcha de lui et l’émotion les étreignit simultanément. Plus rien n’existait autour d’eux que le visage de l’Aimé. Soudain, brisant ce moment d’intense émotion, elle poussa un grand cri : elle avait vu le Duc de Poitiers s’élancer, hache à la main, en direction du Duc de Blaye. Sous les yeux médusés de la troupe de cavaliers, le duc de Poitiers et les Seigneurs d’Aquitaine furent transformés en cactus !!!

Sire Charles de Blaye et Margaux s’installèrent bientôt dans le nouveau palais qui ne tarda guère à être achevé. Ils se racontèrent maintes fois les multiples aventures qu’ils avaient vécues l’un et l’autre séparément et surtout ils savouraient avec délice le temps qu’ils passaient désormais ensemble. Quant aux Blayais, dont aucun à l’exemple de Margaux n’avait trahi Sire Charles de Blaye, ils finirent par regarder avec amusement ces plantes qui brandissaient dans toutes les directions leurs piques innombrables et dont il suffisait, finalement,  de se tenir un peu à distance.

__________
Ill. John William Waterhouse – « Fair Rosamund », (détail).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *