Prix Coup de cœur collège (Pénélope 2024)
« Le stratagème inversé »,
une nouvelle écrite par
Oren Chriqui et Samuel Matuchansky
(Lycée collège Yabné, Paris)
Professeur référent: Déborah El-Baze
I
Le doute est la voie qui mène à la certitude
Pénélope se réveilla ce matin-là avec le doux murmure du vent caressant les rideaux de sa chambre. Les premiers rayons du soleil filtraient à travers les volets, illuminant la pièce d’une lueur chaleureuse. Elle se leva avec précaution pour ne pas réveiller les enfants qui dormaient encore paisiblement dans la pièce voisine. La petite famille vivait dans une maison modeste, entourée d’un jardin verdoyant. Le parfum des fleurs embaumait l’air, créant une atmosphère sereine et accueillante. Pénélope aimait ces moments matinaux où tout semblait parfait, où la vie se déroulait comme une mélodie harmonieuse. Son mari, Ulysse, était réserviste, il pouvait être appelé à servir sa patrie en cas de besoin. Cependant, les jours de service étaient rares, et la famille avait appris à apprécier chaque instant qu’ils pouvaient passer ensemble. Les soirées étaient souvent consacrées à des repas familiaux chaleureux, et les week-ends étaient l’occasion de promenades tranquilles dans les environs.
Un jour, alors qu’Ulysse se préparait pour une journée de service, Pénélope sentit une légère anxiété dans l’air. Une inquiétude diffuse s’installa dans son cœur, bien qu’elle n’ait pu expliquer pourquoi. Elle embrassa son mari qui s’apprêtait à partir en mission avec un mélange de tendresse et d’inquiétude, comme si elle pressentait que quelque chose allait changer. Les jours passèrent sans incident majeur. Pénélope continuait sa routine quotidienne, prenant soin de la maison et des enfants. Elle attendait avec impatience le retour d’Ulysse, mais chaque jour qui passait sans nouvelles renforçait son inquiétude.
Un soir, alors que le soleil se couchait lentement à l’horizon, Pénélope regarda par la fenêtre, espérant voir la silhouette familière d’Ulysse revenant vers eux. Il n’y avait que le crépuscule qui s’étendait sur le paysage paisible. Une ombre d’incertitude s’insinua dans son esprit, mais elle chassa ces pensées, se disant qu’il devait simplement être retenu pour une mission de dernière minute. Cependant, les jours se transformèrent en semaines, et les semaines en mois. La vie tranquille de Pénélope bascula dans une attente constante, teintée d’inquiétude croissante. La nouvelle se répandit que le pays était plongé dans une guerre dévastatrice, et l’absence d’Ulysse devint de plus en plus préoccupante.
Pénélope, fidèle à sa nature déterminée, refusait de croire au pire. Elle continuait à espérer, à attendre, tandis que le monde autour d’elle sombrait dans l’obscurité de la guerre. Les nuages de l’incertitude commençaient à obscurcir le ciel autrefois sans nuages de sa vie paisible.
II
Face à la vérité, le doute n’est pas permis
Le calme qui régnait autrefois dans le quartier avait cédé la place à une agitation fébrile. Les maris des voisines rentraient un à un, accueillis par des étreintes chaleureuses et des cris de joie. Les familles se reformaient, retrouvant une vie normale après des mois d’angoisse. Cependant, la maison de Pénélope restait enveloppée dans un silence oppressant. La pression sociale se faisait sentir de plus en plus. Les voisines commencèrent à importuner Pénélope en lui disant de passer à autre chose. Pénélope, étant fidèle à son mari, employa un stratagème plutôt malin et dit :
– Je passerai à autre chose lorsque j’aurai fini de préparer l’enterrement de mon mari.
Pénélope, décidée à ne pas abandonner ses espérances, fit croire à ses amies qu’elle était en pleine préparation des funérailles de son mari. Elle fit semblant d’acheter la tombe, de commander les fleurs, de préparer une lettre d’adieu et elle en rendit compte à ses amies. En réalité, elle ne faisait rien. Elle faisait juste semblant de lancer des procédures qui durèrent une éternité, et jouait sur le temps.
Pénélope tenta de cacher son inquiétude derrière un sourire forcé, mais chaque regard compatissant, chaque question sur le retour d’Ulysse, ressemblait à une piqûre venimeuse. Elle se retrouvait souvent assaillie de conseils non sollicités et d’insinuations maladroites sur la nécessité de passer à autre chose. Les enfants, qui ne croyaient pas non plus à la mort de leur père, ne cessaient de parler de lui. Les rires joyeux qui résonnaient autrefois dans la maison se transformèrent en murmures de conversations inquiètes. La question récurrente, « Où est papa? », hantait la famille comme un fantôme indésirable.
Un jour, Pénélope fut confrontée à une situation inattendue. Ses enfants, avides de réponses, décidèrent de s’échapper de l’école pour chercher eux-mêmes des indices sur le sort de leur père disparu. Pénélope, découvrant leur absence, fut terrifiée. Elle parcourut les rues environnantes, interrogeant les voisins, frappant aux portes, cherchant frénétiquement ses enfants. Finalement, Pénélope les repéra à proximité du terrain de jeux, en train de discuter avec des enfants du quartier. Cependant, le soulagement qu’elle éprouva fut obscurci par une inquiétude grandissante.
De retour à la maison, elle rassembla ses enfants autour d’elle. Leurs yeux innocents reflétaient la détresse qu’ils ressentaient. C’est alors que la tante de Pénélope, voyant la tristesse dans les yeux de sa nièce, intervint. Elle s’approcha avec précaution et, avec une douce fermeté, lui dit que le moment était venu de chercher des réponses, de retrouver Ulysse. Pénélope, confrontée à la réalité incontournable, sentit un mélange de peur et de détermination s’emparer d’elle. Elle savait qu’il était temps de quitter le cocon de sa maison et de s’aventurer dans l’inconnu, de découvrir la vérité qui avait échappé à sa compréhension pendant trop longtemps. La quête pour retrouver son mari commençait, et avec une résolution calme, elle se prépara à affronter les mystères qui l’attendaient.
III
Dans le doute, il n’y a rien de meilleur que de s’adresser aux gens qui savent
Pénélope s’élança dans l’inconnu, laissant derrière elle les murs familiers de sa maison. Ses pas résonnaient dans les rues pavées alors qu’elle s’aventurait dans le paysage déchiré par la guerre. Des nuages sombres planaient au-dessus d’elle, témoins silencieux des épreuves traversées par la nation. Guidée par l’espoir et une détermination sans faille, elle interrogea les habitants des villages, les soldats survivants, cherchant des indices sur le sort d’Ulysse. Chaque histoire entendue, chaque regard compatissant la rapprochaient de la vérité. Mais le chemin était semé d’embûches et l’ombre de l’incertitude persistait.
Un jour, alors qu’elle marchait à travers un village dévasté, elle rencontra un homme âgé, le visage ridé par le temps et la peine. C’était un ancien soldat qui avait connu la cruauté de la guerre. Pénélope lui demanda avec hésitation des nouvelles d’Ulysse, craignant la réponse. L’homme la regarda, ses yeux portant le poids de trop de souvenirs douloureux. Après un moment de silence, il lui dit que son mari était vivant, retenu prisonnier quelque part dans les profondeurs du territoire occupé. Un frisson parcourut l’échine de Pénélope, mêlant soulagement et anxiété. La quête prenait une nouvelle dimension : elle se sentait à la fois terrifiée et résolue.
Armée de cette nouvelle lueur d’espoir, Pénélope poursuivit sa mission avec une intensité renouvelée. Elle se fraya un chemin à travers des paysages dévastés, bravant les dangers de la guerre avec une détermination inébranlable. Les rencontres avec d’autres résistants, des alliés inattendus, devinrent les étoiles qui guidaient son chemin obscur.
Le moment tant redouté arriva enfin. Pénélope découvrit le lieu où son mari était détenu, un sinistre bastion au cœur du territoire ennemi. Les défis qui l’attendaient étaient immenses, mais elle ne recula pas. Guidée par l’amour et la volonté de réunir sa famille, elle se prépara à affronter l’inconnu. La nuit tombait lorsque Pénélope s’infiltra dans le repaire ennemi. La découverte d’Ulysse n’était plus une question de si, mais de quand.
IV
La Libération d’Ulysse
Le camp ennemi était plongé dans l’obscurité, seulement éclairé par les lueurs intermittentes des lanternes vacillantes. Pénélope se faufila avec une agilité féline à travers les ombres, évitant habilement les patrouilles ennemies. Chaque pas était un écho de sa détermination, chaque souffle un rappel de son engagement envers son mari, perdu et emprisonné dans ce lieu sinistre. La confrontation était inévitable. Pénélope, se retrouvant face à face avec un garde vigilant, agit avec une grâce féline. Un mouvement précis, une série de gestes silencieux, et le garde s’effondra dans l’obscurité. Elle répéta cette danse dangereuse plusieurs fois, éliminant les obstacles entre elle et la liberté d’Ulysse. Le bruit étouffé de pas lourds résonna à travers le camp. Pénélope pressa le pas, son cœur battant la chamade. Elle arriva enfin devant une porte massive, gardée par deux sentinelles impassibles. Un frisson de tension traversa son échine, mais elle savait que la clé de sa quête se trouvait derrière ces portes verrouillées. Guidée par une détermination farouche, elle se lança dans l’affrontement. Les cris étouffés et le son sourd des poings frappant la chair emplirent l’air. Pénélope, malgré sa stature délicate, se révéla être une force à ne pas sous-estimer. Elle se battit avec la férocité d’une mère déterminée à protéger sa famille, à libérer son mari captif. Les gardes tombèrent un à un, à chaque adversaire vaincu, l’espoir grandissait dans le cœur de Pénélope. Lorsque les dernières sentinelles furent inconscientes sur le sol, elle se sentit libérée mais tout d’un coup deux gardes sortirent de nulle part ! L’un l’attrapa et l’autre la menotta. Malgré l’envahissement de sa tristesse, elle ne laissa pas l’espoir la quitter. Les gardes lui demandèrent son prénom :
– Je me nomme Personne, dit-elle.
Les gardes s’interrogeant sur ce prénom relâchèrent leur attention un instant, ce qui fut fatal pour leur vie. Pénélope prit son couteau, brisa ses menottes et poignarda l’un des gardes tandis que l’autre garde, apeuré, s’enfuit. Celui-ci alla chercher des renforts en criant :
– Notre ami est mort ! Il a été tué !
– Par qui ? demanda un autre garde.
– Par Personne !
– Mais tu es fou ! Tu nous fait peur.
Pendant ce moment de relâchement, Pénélope en profita pour ouvrir les portes lourdes derrière lesquelles elle trouva Ulysse, enchaîné et visiblement affaibli par les mois de captivité. Il leva les yeux lorsqu’elle entra. Elle se précipita vers lui, brisant les chaînes qui retenaient son mari prisonnier.
Les retrouvailles furent empreintes d’émotion pure. Pénélope enveloppa Ulysse de ses bras, sentant le poids de l’angoisse se dissiper. Ensemble, ils s’échappèrent du camp ennemi, s’éloignant des ténèbres qui avaient retenu leur bonheur en otage. Leurs pas résonnaient avec une mélodie triomphante alors qu’ils s’éloignaient des vestiges de la guerre, prêts à reconstruire leur vie ensemble.
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ill. Kazimir Malevich, « Suprematism. Soccer Player in the Fourth Dimension », (détail).