Peut-on briser ce qui est déjà à terre ?

Peut-on briser ce qui est déjà à terre ?

Billet d’humeur écrit après lecture des propositions de Mme Lang et du collectif de parlementaires « Territoires de progrès« , paru dans Le Monde du 22 février 2022

En période électorale, évoquer une réforme de l’éducation nationale présente plusieurs avantages : cela permet d’abord de se gargariser de grands et de jolis mots qu’on pourrait presque écrire avec des majuscules pour que ce soit encore plus ronflant. Ils se côtoient en un véritable feu d’artifice, explosion de termes galvaudés, usés jusqu’à la trame : « justice sociale », « inégalités », « cause nationale », « culture », « mixité sociale », « promesse républicaine », « cohésion nationale », « pouvoirs publics », « institutions », « enjeu de société », « communauté », et ce, jusqu’au bouquet final : « la clé de voûte des politiques en direction de la jeunesse et de la société. » On en a plein la bouche, mais ce n’est pas grave, on est ému.

Cela permet également de faire semblant de s’adresser au plus grand nombre : qui n’est pas parent, grand-parent, marraine, parrain, oncle ou tante, et à ce titre, inquiet de l’avenir de ceux qu’il aime ? Cela permet enfin de communier avec le grand public dans une détestation commune, celle des professeurs, que l’article nous présente comme des êtres finalement assez malfaisants, qu’il faudrait faire travailler plus, à qui il conviendrait de confier de « nouvelles missions éducatives » et qu’il faudrait enfin doter d’une « formation […] de haut niveau », ce qui laisse entendre qu’ils sont plutôt mauvais actuellement.

On conviendra qu’il est pour le moins surprenant que ce dernier point se traduise par la proposition de modifier leur recrutement, entérinant la proposition entendue çà et là ces derniers jours de supprimer les concours de recrutement aux postes de professeurs, pour les remplacer par un recrutement « laissé à l’appréciation des chefs d’établissement », sur des critères dont il n’est nulle part fait mention.

Quel brio ! Anne-Christine Lang, dont Wikipedia nous apprend qu’elle s’est passionnée pour la politique dès l’âge de neuf ans, ce qui, convenons-en, lui a laissé pas mal de temps pour réfléchir, parvient dans cet article, à caser tous ces jolis mots dans le grand scrabble électoral.

Cependant, pour qui se frotte un peu au système éducatif, cet article glace le sang.

Il commence déjà bien mal, en valorisant la réforme du lycée parce qu’elle aurait « fait disparaître les filières », preuve s’il en était besoin, de la totale déconnexion de Madame Lang avec les établissements scolaires. Parce que dans les lycées de France, aujourd’hui, ce que nous voyons, sur le terrain, le vrai, pas dans des réunions de « collectifs parlementaires », ce sont des élèves qui souffrent, qui ont peur, qui sont malades, qui ne savent pas travailler et qui ressentent face à l’effort de l’angoisse et de l’inquiétude, tout en étant tétanisés face aux enjeux scolaires dont ils ont l’impression que leur vie entière dépend. Si certains élèves s’effondrent complètement et décrochent, la plupart ont d’excellentes notes y compris lorsque les bases ne sont pas acquises. Il est certain que si l’on évalue la réussite de cette réforme à l’aune des notes des lycéens, elle est sacrément réussie !

Pourtant, le constat initial est pertinent : le niveau baisse, ce que l’article évoque avec un bel euphémisme en parlant « d’un contexte de faibles performances ». Mais face à cet inquiétant constat, Mme Langpropose de recruter des enseignants qui ne seront plus spécialistes d’aucune discipline. Quelle logique ! Imaginez un mauvais boulanger à qui on conseillerait de faire un stage pour combler ses lacunes auprès d’un restaurateur plutôt qu’auprès d’un spécialiste du pain !

Quelle peut être la cause d’un tel échec ? Celle que Mme Lang et ses sbires nous proposent arbitrairement, comme tombée du ciel, est très simple : si les élèves ne réussissent pas, c’est parce que les professeurs ne peuvent pas « passer du temps » avec leurs élèves ou encore parce qu’il est impossible de « nouer une relation de confiance entre les enseignants, les élèves et leurs familles » et qu’il est dans un tel contexte compliqué « d’apaiser le climat scolaire ».

On nous parle alors d’un obscur « triptyque une heure, une classe, un enseignant », qui vise à dénigrer le travail des professeurs, présentés comme étant incapables de comprendre leurs élèves, de détecter des phénomènes de harcèlement (qui pour une large part se produisent à la maison, sur les réseaux sociaux que la fréquentation des outils numériques favorise grandement).

Mais bien loin d’en déduire qu’il suffirait d’alléger les effectifs par classe, Mme Lang et son « collectif de parlementaires du mouvement Territoires de progrès » nous tirent instantanément une solution miracle de leur chapeau : il suffirait que le collège ressemble à l’école primaire pour que, comme par magie, tous les problèmes s’envolent : plus de harcèlement scolaire, plus de violence, une détection plus facile des « fragilités des élèves ». Il est vrai que la violence et le harcèlement n’existent pas à l’école primaire, et qu’à l’heure où fleurissent les PAI, PPRE, PAP, PPS et autres dispositifs, nous ne détectons pas au collège les élèves qui rencontrent des difficultés…

DES ENSEIGNANTS, QUI SERONT HABILITÉS À ENSEIGNER DU CP À LA 3e !

Anne-Christine Lang

Il semblerait donc que l’installation d’une relation de confiance et d’une ambiance apaisée suffise à faire remonter le niveau de nos élèves et partant, à résoudre tous les problèmes qui en découlent. La clef de cette relation de confiance se trouverait donc dans la modification du statut des professeurs de collège, qui n’enseigneraient non plus une discipline, celle qu’ils connaissent bien, celle qu’ils aiment, il faudrait qu’ils deviennent comme leurs collègues, professeurs des écoles, des généralistes capables de maîtriser toutes les disciplines. Cependant, au collège, les apprentissages se complexifient.

Beaucoup de personnes sont-elles à même d’enseigner en 3e, la factorisation en mathématiques, les langues vivantes, la physique, l’éducation musicale, les arts plastiques, les langues anciennes, l’analyse logique, la géographie … ?

Beaucoup de personnes sont-elles en mesure d’enseigner tout cela et en mesure d’apprendre à lire à de jeunes élèves de CP ?

Très clairement, il va falloir revoir les exigences disciplinaires et former les enseignants du collège à travailler avec des petits et à accéder à une formation généraliste. En gros, les enseignants du primaire devront maîtriser tous les contenus disciplinaires du collège et les enseignants du collège devront maîtriser tous les contenus disciplinaires du primaire. Il faudra surtout apprendre à désapprendre et apprendre à tout mélanger pour le plus grand malheur des élèves.

Cette proposition pourrait avoir l’avantage de plaire aux parents qui trouvent que les professeurs n’en font pas assez, puisque leur seront imposés un « temps de présence accrue dans les établissements » et de « nouvelles missions éducatives »… Voilà qui devrait séduire les adeptes du prof-bashing et qui prouve encore que les auteurs de ces propositions n’ont pas la moindre idée de ce qu’est aujourd’hui le travail d’un professeur de collège.

Pour essayer de « faire passer la pilule », on assure aux enseignants que leur « rémunération sera […] fortement valorisée ». Ils sont un peu naïfs, les professeurs, on le sait bien, eux qui s’efforcent de tenir la baraque depuis des années avec pour seul horizon la volonté de pas abandonner leurs élèves à la médiocrité ambiante, mais là tout de même, ils ne sont pas dupes et savent très bien que de toutes les promesses de cet article, et la plupart sont effrayantes, la seule qui ne sera pas tenue sera celle de l’augmentation des salaires.

On nous propose aussi de modifier les contenus disciplinaires, histoire d’étoffer un peu l’article. Madame Lang nous rejoue donc, éternel marronnier, la guéguerre entre les activités manuelles et les activités intellectuelles, en proposant « l’acquisition d’une culture manuelle pour tous ». Le niveau intellectuel baisse ? Qu’à cela ne tienne, ajoutons encore des heures dédiées à l’enseignement manuel ! Car personne n’est dupe, ajouter de l’enseignement manuel, dans un système où les collégiens ont vingt-six heures de cours, c’est nécessairement diminuer les horaires d’enseignement de ce qu’on nomme, ou nommait peut-être, « les « fondamentaux ».

Mais la fin de l’article réserve son lot de surprises. On y propose carrément de soustraire leurs enfants aux familles monoparentales. Soupçonnées de mal éduquer leurs gosses, des adolescents difficiles, elles pourront s’en défaire pour les placer dans des internats. On se croirait dans Les 400 coups! Antoine Doinel n’a qu’à bien se tenir !

Ainsi, les femmes, encore elles, décidément responsables de bien des maux de notre société, présentées comme « démunies face à des adolescents qui dérivent » ne seraient plus « sanctionn[ées] » mais « aid[ées] ». De quelles sanctions est-il ici fait état ? Quel beau projet de société que celui qui fustige et juge les mères plutôt que de se soucier de donner aux foyers modestes les moyens de vivre mieux et plus confortablement !

Rien ne nous sera épargné en termes de clichés et de mauvaise foi, jusqu’à la tirade finale qui nous brosse le portrait idyllique d’adolescents en quête de figures d’adultes stimulantes pour se construire paisiblement, alors même que les figures d’autorité que représentent les hommes et femmes politiques peuvent être corrompues, sans parole, centrées sur elles-mêmes, ambitieuses, orgueilleuses, menteuses.

La réforme du lycée a détruit le baccalauréat, fragilisé l’autorité des professeurs et instauré dans tous les lycées de France un climat délétère, fondé sur la compétition entre élèves désireux de se placer sur Parcoursup, et entre les disciplines désireuses de ne pas s’éteindre. Nous pensions que Mme Belkacem avait en son temps anéanti le collège. Nous avions tort. Dans les décombres, il reste encore des choses à détruire. N’ayez crainte, Mme Anne-Christine Lang et son collectif s’y emploient.

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