Bilan de fin d’année scolaire -LES ÉPREUVES ANTICIPÉES DE FRANÇAIS (E.A.F.) – Session 2021

Bilan de fin d’année scolaire -LES ÉPREUVES ANTICIPÉES DE FRANÇAIS (E.A.F.) – Session 2021

 Depuis la réforme du lycée 2020, les épreuves écrites notées sur 20 points offrent le choix entre un commentaire d’un texte inconnu et une dissertation portant sur une des quatre œuvres intégrales étudiées pendant l’année. Ont disparu la question sur corpus obligatoire sur 4 points, le sujet d’invention et la dissertation élargie portant sur un objet d’étude (16 points).

Nous avons essayé de dresser un bilan en fin d’année scolaire de la manière la plus objective possible, en soulignant les aspects positifs et les dysfonctionnements ou problèmes qui ont pu caractériser la session 2021. Dans ce retour sur les mois que nous avons consacrés à nos élèves et à leur réussite, nous n’avons évidemment pas oublié que le contexte sanitaire avait rendu les choses difficiles pour tout le monde.

LA DISSERTATION

Pour commencer, nous saluons le fait que l’élève dispose désormais de la totalité des quatre heures pour rédiger son commentaire ou sa dissertation, cette disposition lui permet de nourrir davantage son devoir.
Avec la disparition du sujet d’invention, les lycéens osent enfin affronter le sujet de dissertation. Une bonne proportion des élèves qui ont choisi cet exercice ont témoigné d’une lecture approfondie de l’œuvre en question, ce qui n’était pas le cas avec les sujets de dissertation élargis qui avaient cours avant la réforme : beaucoup se contentaient de citer de façon superficielle quelques livres pas forcément lus. 

Nous pouvons bien sûr regretter que certains élèves aient tendance à reproduire des plans de dissertation glanés ici et là, sans réfléchir à la spécificité du sujet proposé, mais nous déplorons surtout que les consignes soient parfois trop floues ou parfois déconcertantes. Le B.O. parle de dissertation « sur œuvre », ce que confirment les sujets tombés, alors que la consigne peut inviter les lycéens à « s’appuyer sur les textes étudiés dans le cadre du parcours ».  Le parcours ne peut évidemment pas toujours être exploité quand le sujet est vraiment centré sur l’œuvre au programme.

À titre d’exemple, le sujet n°2, donné à Washington, nous paraît tout à fait déroutant, dans la mesure où la consigne de la dissertation demande de prendre en compte d’autres textes que celui sur lequel porte le sujet (Le Rouge et le Noir) : 

« Moi, j’ai la noblesse du coeur », affirme Julien lors de son procès.
Cette formule vous paraît-elle adaptée pour caractériser ce personnage ? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé. votre réflexion prendra appui sur le roman de Stendhal au programme, sur le travail mené dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle. »

Quoi qu’il en soit, certains élèves, même fragiles, voient dans la dissertation la possibilité de valoriser leurs connaissances. Cet exercice leur semble moins aléatoire que le commentaire qui peut porter sur n’importe quel texte. La dissertation est également souvent choisie par les élèves scolarisés dans les lycées français à l’étranger pour son caractère rassurant.

Même si les productions ne sont pas toutes à la hauteur des exigences requises, nous nous réjouissons donc que les élèves renouent avec cet exercice. Il nous paraît essentiel de  prendre le temps d’étudier des oeuvres patrimoniales, porteuses de valeurs, d’analyser des savoirs, de les soupeser, d’en examiner toutes les facettes afin de formuler une opinion circonstanciée reposant sur un savoir vivant, parce qu’intériorisé et mis en perspective. 

 LE COMMENTAIRE

Contrairement à ce que nous avons pu observer pour un certain nombre de dissertations, les commentaires sont, pour beaucoup, peu approfondis et très pauvres. 

Nous regrettons, par ailleurs, le flou qui caractérise les critères de correction du commentaire à l’écrit : « il n’est pas nécessairement composé », « il rend compte d’une lecture personnelle du texte »… Ce type d’indications conduit finalement à accepter tout et n’importe quoi. 

Témoignage

Les professeurs de philosophie font d’ailleurs le même constat: la dissertation est largement préférée au commentaire car les élèves ne comprennent plus l’extrait philosophique à commenter. En revanche, ils ont appris par cœur au moins cinq plans par grande notion philosophique.

L’ÉCRIT D’INVENTION 

Nous saluons le fait qu’il n’y ait plus de sujet d’invention. Cet exercice, plébiscité par des élèves plutôt faibles qui y voyaient la continuité de la rédaction travaillée au collège pour le brevet, offrait des possibilités de sujets tellement vastes, qu’il était impossible de les y préparer convenablement. Au terme de l’année, les lycéens ne pouvaient donc pas être en mesure de maîtriser tous les codes de tous les types de textes qu’ils étaient susceptibles de rencontrer le jour de l’examen.  

De plus, l’existence de cette épreuve avait conduit un grand nombre d’élèves à se désintéresser d’une part, des références littéraires et culturelles que l’enseignement du français permet d’acquérir au lycée, d’autre part, de la rigueur des exercices qui permettent de conjuguer esprit d’analyse et argumentation. 

 LA MAÎTRISE DE LA LANGUE

L’orthographe approximative, l’expression très maladroite et souvent incorrecte de la majorité des devoirs, dissertations comprises, ont retenu l’attention des enseignants. Le problème est d’ailleurs si manifeste que les consignes académiques préconisent de ne pas enlever plus de 2 points pour l’orthographe. 

Visiblement, les élèves payent au prix fort la baisse continue des heures dévolues à l’enseignement du français. 

Témoignage 

 Sur mon lot de 55 copies, j’ai dû lire à peine 3 devoirs à la syntaxe et à l’orthographe répondant en tous points aux exigences de l’exercice.

Nous tempérerons d’ailleurs ici les remarques enthousiastes émises à propos de la dissertation : comme les professeurs de philosophie, nous observons, en effet, que la dissertation est très largement préférée au commentaire tout simplement parce qu’un grand nombre d’élèves ne comprennent plus l’extrait à commenter. 
 

Témoignage

Il me semble que ce qui pose problème en français, ce ne sont pas les épreuves elles-mêmes ni le programme, mais le fait que les élèves qui arrivent en seconde ont un niveau déplorable, notamment en expression (syntaxe et orthographe), compréhension, grammaire et vivacité générale (prise de notes, capacité à argumenter et à organiser un propos, lacunes culturelles et lexicales). Cette situation rend difficile la mise en oeuvre du programme et la préparation des épreuves.

Dans un tel contexte, la lecture des œuvres intégrales est bien devenue la difficulté principale. Il est plus que nécessaire de lire des extraits longs en classe avec les élèves pour s’assurer de leur compréhension et pour leur donner des modèles de lecture à voix haute. Certains, en effet, ne comprennent pas ce qu’ils lisent et ne peuvent rester concentrés le temps d’un chapitre. 


LE TRAVAIL DE CORRECTION

Le travail de correction a été considérablement alourdi par le contexte sanitaire qui a imposé des choix de sujets multiples. Les sujets n’ayant pas été triés avant, les professeurs se sont retrouvés à corriger parfois 6 sujets de dissertation différents selon leur lot de copies : les élèves avaient, en effet, le choix entre 2 sujets de commentaire et 2 sujets de dissertation eux-mêmes scindés en 2 séries de 3 sujets en fonction des œuvres traitées pendant l’année. Il a donc fallu jongler avec des pages et des pages de corrigés (une trentaine de pages pour la série générale…).

LES ORAUX

DU CÔTÉ DES ENSEIGNANTS : DES CONDITIONS DE TRAVAIL DÉPLORABLES 

Dans le même temps, les descriptifs pour les oraux sont enfin parvenus aux enseignants. Il  aurait fallu qu’ils puissent en disposer début juin afin de se préparer sereinement à interroger les  élèves.

Les oraux, nouvelle version, sont scindés en 4 temps : 2 minutes de lecture /introduction (2 points), 8 minutes d’explication linéaire (8 points), 2 minutes de grammaire (2 points), 8 minutes d’entretien sur une œuvre choisie par l’élève en accord avec le professeur dont 2 minutes de présentation par l’élève (8 points).

Les professeurs ont alors dû préparer des questions et se procurer, puis lire ou relire de nombreux livres qu’ils ne connaissaient pas forcément très bien tout en corrigeant leur lot de copies… 

Témoignage 

J’ai reçu les descriptifs le 11 juin, avec 5 listes différentes pour un passage d’oraux à compter du 28 juin. Hormis les oeuvres au programme, je pense avoir eu plus de 30 œuvres différentes à lire, même si les candidats les ont peu choisies et ont préféré les œuvres au programme étudiées en OI.

Si, en général, les professeurs aguerris maîtrisent bien un grand nombre d’œuvres patrimoniales, ce n’est pas forcément le cas des nouveaux enseignants. De plus, les listes de lectures cursives sont extrêmement conséquentes et très variées (oeuvres étrangères, contemporaines etc.). 

DU CÔTÉ DES ÉLÈVES

En raison du contexte sanitaire, de nombreux élèves ont pu faire l’impasse sur les 5 ou 6 textes d’un objet d’étude. Dans les faits, les lycéens ont eu la possibilité, cette année, d’éliminer tous les textes d’un des objets d’étude, les consignes académiques préconisant de choisir 2 textes de 2 objets d’étude différents (poésie, roman, théâtre ou littérature d’idées)… Les révisions ont ainsi été grandement simplifiées. 

L’EXPLICATION DE TEXTE

Bien sûr, nous pourrions regretter que certains élèves aient tendance à réciter l’explication travaillée en classe au lieu d’élaborer un commentaire en fonction d’une problématique donnée par le professeur comme c’était le cas avant… 

Témoignage 

On reproche à la lecture linéaire de conduire les élèves à « réciter le cours », mais à mon sens, ils le faisaient déjà avant. Dans l’ancienne mouture, je me suis souvent trouvée face à des élèves qui manifestement « récitaient » un plan tout fait qui ne répondait absolument pas à la question que je leur posais. Le pire était qu’en réunion de concertation, on nous demandait de ne pas pénaliser les élèves qui débitaient un plan ne répondant pas à la question posée, parce qu’ils avaient au moins fait « l’effort d’apprendre ». Il fallait donc valoriser cet effort. Nous nous trouvions alors dans une situation ubuesque : les lycéens qui jouaient le jeu et essayaient pendant leur préparation de construire un plan répondant à la question, se trouvaient finalement pénalisés par rapport à ceux qui occupaient leur préparation à recopier leur cours appris par coeur. Ayant passé du temps sur leur plan, ils avaient, à terme, moins de « contenu » que les « récitants ».

Bien sûr, nous pourrions aussi souligner que les explications linéaires donnent parfois lieu à des redites fastidieuses et à de la paraphrase, mais un problème de méthode n’explique-t-il pas ce type d’inconvénients ? 

L’analyse linéaire comporte des écueils qui nous semblent faciles à corriger. Elle libère les élèves du fameux « plan » à trouver, qui nécessite de réorganiser le texte au détriment de sa linéarité sensible, musicale, métaphorique… Evidemment, certains élèves « traduisent » les textes, en lisant une phrase, puis en ânonnant une vague paraphrase avant de passer à la phrase suivante. Pourtant, si on leur explique que l’analyse linéaire n’interdit pas des allers-retours dans l’extrait proposé et si on leur apprend qu’ils peuvent structurer leur explication en s’appuyant sur les mouvements du texte —ce qui leur permet de prendre un peu de hauteur et de proposer des points interprétatifs et synthétiques réguliers — ils parviennent à présenter de belles analyses et prennent du plaisir à percevoir les harmonies d’un texte. 

Nous avons pu constater durant ces oraux que si certaines prestations étaient convaincantes, nombreux étaient les élèves, notamment en filière STMG, à n’avoir même pas pris la peine de lire le livre choisi à l’entretien… 

Par ailleurs si l’on déduit le temps de présentation de l’élève, il ne reste que 6 minutes à l’enseignant pour juger de la connaissance d’une œuvre qu’il ne maîtrise parfois lui-même que superficiellement faute d’avoir eu suffisamment de temps pour préparer les entretiens… 

Cette deuxième partie (entretien sur une œuvre choisie par l’élève) nous paraît, en fait,  aberrante, surtout quand on entend les conseils données en réunion d’entente : « l’entretien ne doit pas être un contrôle de lecture ni un contrôle de connaissances, mais doit amener l’élève à évoquer ce qu’il ressent ». 

Témoignage 

Les questions proposées me semblent affligeantes. Pour ma part, j’avais préparé mes élèves à réaliser des liens entre l’oeuvre présentée et les objets d’étude et je les avais invités à approfondir leurs connaissances en lien avec l’oeuvre présentée, en leur demandant par exemple d’être incollables sur le Romantisme et le drame romantique s’ils présentaient une pièce de théâtre de Musset. Or on leur a demandé quel était leur personnage préféré, ou quelle image ils auraient choisie pour la couverture de l’œuvre s’ils avaient été éditeurs, ou encore avec quelle musique le texte leur semblait pouvoir s’accorder… En fait cette deuxième partie d’épreuve est une répétition pour le Grand Oral de terminale : il faut parler de soi, de ce qu’on ressent et de ce qui nous plaît ou même parler de rien, mais avec assurance. Il est très facile de faire illusion dans ces entretiens frustrants et trop peu approfondis.

LA QUESTION DE GRAMMAIRE 

La question de grammaire nous semble, en revanche, particulièrement bienvenue parce qu’elle est censée permettre aux élèves de consolider les connaissances acquises au collège. 

Essentielle en ce qui concerne aussi bien la maîtrise de l’expression, du raisonnement, que l’apprentissage des langues étrangères, la grammaire est devenue le parent pauvre de réformes qui invitaient même les professeurs de collège à supprimer les « cours » de grammaire de leur enseignement.

En tant que professeurs de lycée, nous avons découvert les lacunes parfois saisissantes de nombreux élèves : beaucoup sont incapables d’identifier un pronom ou un adverbe… Non seulement, ils n’ont aucune connaissance des points du programme, mais en plus, même aidés, ils ne parviennent pas à répondre aux questions. Certains ne réussissent même pas à identifier les verbes conjugués dans une phrase complexe. Presque aucun ne sait faire la différence entre les mots subordonnants, les mots coordonnants, les adverbes et les prépositions. Nombre d’entre eux ne distinguent pas les différents types de liens logiques : cause, but, opposition et conséquence, distinction pourtant essentielle quand on pense que les propositions subordonnées circonstancielles sont au programme. 

Témoignage 

Aucun des élèves que j’ai interrogés n’a obtenu 2/2 ce qui est très inquiétant et en dit long, là encore, sur la baisse continue des heures d’enseignement en français depuis le primaire. 

BILAN 

Les nouvelles E.A.F. ont redonné une place de choix aux œuvres classiques, c’est là une avancée importante. Mais il est vrai aussi que le fossé se creuse entre l’émulation permise par ces œuvres et la réalité du terrain : alors que de plus en plus d’élèves fuient les efforts que requièrent la lecture attentive et les apprentissages,  les horaires disciplinaires diminuent, notamment en Seconde qui devrait pourtant être la classe de propédeutique. 

Enfin, les professeurs constatent que les résultats des lycéens sont surévalués (voir notre article sur le « contrôle continu »). Malgré des notes parfois excellentes,

Témoignage 

Un nombre conséquent de nos lycéens de Première ont décroché un 20 à l’oral et à l’écrit sans être d’excellents élèves…  

il faudra qu’ils restent lucides : leurs trajectoires post-bac pourront se révéler complexes, il leur faudra peut-être gérer des déconvenues, penser à des remises à niveau dans certains domaines.

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