
Bac de français : bac au rabais ? (Bienvenue dans le monde des injonctions contradictoires)
Ce matin du 13 juin, nous, les professeurs de lettres coordonnateurs au baccalauréat, avons été conviés pour notre traditionnelle réunion d’entente et de concertation avec des personnels de l’inspection. Cette réunion vise à définir et harmoniser les barèmes en matière de correction.
En tant que professeur, je me suis sentie méprisée. Tout se passe comme si tout ce que nous nous échinons à transmettre à nos élèves en termes de connaissances, de rigueur, d’exigence ne comptait plus.
Ainsi, en ce qui concerne la lecture, il nous est demandé d’évaluer « surtout la fin de la lecture » au motif que l’élève serait trop angoissé au début et pourrait bafouiller… De même, si un alexandrin est mal dit, cela n’a pas d’importance et n’a pas à être pénalisé… Je rappelle que les élèves en filière générale présentent 16 textes d’une vingtaine de lignes et que ceux-ci ont longuement été étudiés en classe (12 pour les STMG). [Certains de mes collègues en avaient travaillé 60, voire 80 quand ils étaient eux-mêmes élèves au lycée….] Est-ce donc trop demander que de dire à nos élèves, pour assurer les deux points dédiés à la lecture à voix haute, de s’entraîner à savoir bien lire des textes que par ailleurs nous avons lus et analysés avec attention en cours? Sachant donc que la versification des 4 poèmes a été travaillée tout comme la prononciation des vers et qu’en classe on insiste aussi sur la nécessité de bien prononcer les « e » par exemple ?
L’introduction et la conclusion de l’explication (cette dernière est sur 8 points) sont désormais secondaires, l’élève n’a pas à donner de problématique et le repérage des mouvements devient facultatif ! À quoi donc servent les cours que nous dispensons à nos élèves ? Nous leur conseillons au contraire d’être méthodiques, nous leur montrons que leur explication doit être structurée, organisée… Ce n’est qu’en procédant ainsi que leur analyse sera limpide. On ne peut pas tout dire sur un texte, ni se contenter de juxtaposer des remarques disparates au gré de la lecture !
Malheureusement, ce n’est pas mieux pour la question de grammaire qui est sur 2 points : « l’étiquetage » n’est pas indispensable, il faut valoriser l’élève qui a compris même s’il ne donne pas la terminologie attendue, y compris lorsque le mot attendu est « pronom relatif »… [Il y a encore peu de temps, les élèves qui arrivaient en 6e connaissaient les pronoms relatifs et étaient capables d’identifier les subordonnées relatives, ce qui leur permettait d’ailleurs de construire des phrases syntaxiquement correctes] Les bras m’en tombent ! Les lycéens ne doivent donc plus rien mémoriser? Comment être efficace en grammaire si on ne maîtrise pas la terminologie? À quoi servent toutes les leçons de grammaire dispensées au cours de l’année ? À quoi bon diffuser une « Terminologie officielle », telle que La Grammaire du français du CP à la 6e (Eduscol), si au lycée, les élèves ne sont plus tenus de maîtriser la moindre notion…
Parlons pour finir de l’entretien sur oeuvre, sur 8 points : non seulement on n’évalue pas la présentation1 (pourquoi ne pas valoriser ce que l’élève a préparé et mémorisé ?) mais on peut valoriser un entretien même si l’élève n’a lu qu’une quarantaine de pages de l’oeuvre choisie !
Mais à quoi servent les professeurs? On appelle cette démagogie de la bienveillance ? Cette manière de procéder est en réalité très violente pour les professeurs mais aussi pour les élèves qui se préparent consciencieusement et qui se rendent compte que leurs camarades qui n’ont pas fait le travail et qui n’ont pas le niveau requis auront aussi de bonnes notes. Quel mépris pour les élèves et les enseignants !
On voudrait dissuader nos élèves de travailler et d’apprendre qu’on ne s’y prendrait pas autrement… Pourquoi de tels renoncements? Quelle est la prochaine étape ? Nous remplacer par des IA ? Fabriquer des générations d’incultes incapables de fournir le moindre effort ?
La réalité est peut-être encore plus terrible : en acceptant ces préconisations, nous fabriquons des générations d’individus brisés par le mépris, un mépris qui consiste à ne jamais rien attendre d’eux.

Le Français au CM1 – Hachette, 1986
- En fait, les élèves présentent l’oeuvre choisie à l’entretien. Ils mentionnent son titre, son auteur, le mouvement littéraire auquel l’oeuvre appartient, ainsi que les raisons de leur choix. ↩︎
4 réflexions sur « Bac de français : bac au rabais ? (Bienvenue dans le monde des injonctions contradictoires) »
Une saine révolte. Malheureusement….
Je suis moi même assistante de langue anglaise et je rencontre les mêmes problématiques. La sacrosainte « bienveillance » n’est qu’un affreux cache-sexe qui recouvre à peine le mépris en question. Et je crois en effet que l’IA est l’avenir rêvé de nos institutions… c’est terrifiant.
Professeur agrégé de philosophie (hors cadre), je compatis auprès de tous mes collègues qui doivent supporter à chaque moment de l’année scolaire tous les renoncements organisés par le Ministère de l’Éducation Nationale. Il faut savoir que les notions d’excellence, d’effort, de réussite scolaire et académique sont réservées à des happy few, pendant que les cohortes d’élèves, drainées par la fameuse « démocratisation » de l’enseignement (ou massification) sont volontairement méprisées et laissées à l’abandon, que ce soit du point de vue des comportements des élèves en classe, du travail personnel, ou du contrôle des connaissances. En 1995, un IPR de philosophie avait affirmé lors d’une réunion d’harmonisation du baccalauréat, à propos d’une copie indigente à laquelle j’avais attribué un 02/20 : « Il faut se faire une étrange opinion de l’enseignement pour donner un 02/20 à une copie de philosophie ! Que vont dire les parents ? Que leur enfant arrivé en fin de classe terminale est nul ? ». La généreuse proposition de Chevènement de faire accéder 80% d’une classe d’âge au « niveau du bac » s’est vu adjoindre de multiples contorsions pour donner l’illusion qu’une véritable politique volontariste était à l’œuvre, pendant qu’on admonestait les professeurs afin qu’ils ne professent pas grand chose. ON (le Ministère et les carpettes qui servent de relais dans certaines institutions) « ouvrait l’école », on accueillait dans certaines classes de CPGE des élèves dont la « motivation » était la seule vertu. Mais le gros de la troupe était bercé dans l’illusion du bachot. Ne revenons pas sur l’état intellectuel catastrophique des étudiants de première année de Licence à l’Université ! La gestion de la paix sociale, spécifiquement de la jeunesse désœuvrée et non formée professionnellement est la constante qui guide les politiques de la rue de Grenelle. La publication annuelle de centaines de livres et de témoignages sur la déréliction qui gangrène l’enseignement en France ne produit aucun frémissement. Même s’il est de notoriété publique que l’échec est constatable, rien n’y fait. L’affaissement moral, intellectuel, politique et économique du pays semble être vécu comme un rêve par les Français et leurs élites. Ce qui est plus incompréhensible, c’est que les enseignants, qui pourtant touchent du doigt les fameuses « injonctions contradictoires », qui donc sont les témoins privilégiés de l’avachissement intellectuel voulu par les cadres de l’institution restent extraordinairement passifs.
Merci !
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