PRIX DE L’AFPEAH 2020 (NIVEAU LYCÉE)

PRIX DE L’AFPEAH 2020 (NIVEAU LYCÉE)

« Au Fond du labyrinthe »

J’ai ouvert les yeux. Lassé par mes vaines tentatives de m’endormir, ne serait-ce qu’un moment, je me lève péniblement. Que vais-je faire, aujourd’hui? Je ne sais pas. Mais guidé par un vague instinct, je me mets en route. Je n’ai qu’une envie, sortir d’ici. Me baigner dans les doux rayons de soleil d’une aube dorée. Revoir quelqu’un de vivant. Sentir la brise légère caresser mes joues… Depuis combien de temps suis-je ici? Une semaine? Un mois? Des années? Je ne sais plus. La nuit tombe, le silence pesant et le noir absorbent les longues galeries, et dans cette atmosphère lugubre –  Il arrive.

Cette horrible créature que j’ai pour compagnie. Cette bête ignoble qui me traque infiniment dans le noir des galeries, me rendant fou. Fou! De cette pression incessante. Du sentiment constant d’être une proie, et non seulement la sienne, mais celle de cet endroit, devenu ma prison personnelle. Lui… Je le vois souvent, dans le reflet d’une flaque sur le sol humide, la où une infime particule de lumière perce au travers des murs de pierre. Je le vois dans un de ces innombrables tournants, je sens son souffle sur ma nuque. Il se rapproche de plus en plus, je le sens, mais que puis-je y faire? Parfois, m’allongeant sur le sol, comme en proie à un délire, je lui parle. Il est là, il m’écoute … Mais ne me répond jamais. 

Je n’ai guère d’autre compagnie. Je passe mes nuits et jours seul, avec ma conscience. Sauf ce jour-là! Dont le cauchemar me hante encore.

Ça m’avait semblé être un mirage. Au milieu de ma solitude, j’avais entendu des voix, je n’avais pas osé y croire, la joie m’avait submergé. Des autres? Sont-ils coincés ici comme moi? Viennent-ils me chercher? M’aideraient-ils? J’étais allé alors, guidé par l’écho de leur voix résonnant dans les longs corridors. Je les avais sentis, tout près, des femmes, des enfants, des jeunes hommes. Je sentais l’odeur âcre de leur peur, j’avais voulu m’avancer , mais soudain, j’avais pris  peur. Et s’ils ne voulaient pas me voir? Leurs voix s’estompaient peu à peu, tandis que j’étais en proie à l’hésitation. C’est alors que j’avais senti sa présence à nouveau. Il était revenu. Je courais titubant à travers le long corridor qui nous séparait, déboulant soudain devant le petit groupe. Des cris ne tardèrent pas à éclater, je n’avais eu aucune chance de m’expliquer. J’avais senti une vive douleur sur ma joue. J’y avais porté ma main et j’avais vu du sang. Mon sang.

Une rage, une rage immense m’avait submergé avant de perdre connaissance. Je m’étais réveillé couché dans l’eau.

J’avais trouvé cela étrange. Peu à peu, en retrouvant l’usage des parties de mon corps endolories, j’avais senti une substance collante sur mes bras, une puanteur incroyable. Et alors, je les avais vus… une dizaine de cadavres à mes pieds, baignant dans la mare de sang qui se propageait lentement sur le sol, déchirés d’une façon bestiale…

Par réflexe, je frotte les mains, essayant d’effacer les traces inexistantes de sang . Ce souvenir bien que lointain reste gravé dans ma mémoire. Comme je m’en voulais d’avoir laissé cela se produire, je n’étais pas arrivé à temps, la bête les avait tués.

Qu’avais-je fait ce jour-là? Rien! J’avais pris peur, j’avais fui.

Mais, depuis ce jour, les échos brisés de voix me hantent et me poursuivent dans la pénombre. En soupirant je reprends ma vaine quête, à la recherche de quelque sortie. Il me faut cette sortie. Ce doit être la seule raison qui me maintient en vie. La seule chose qui me donne la force d’exister et qui illumine tout ce noir. Qui me permet de me distraire des petits bruits incessants que font les gouttelettes d’eau tombant du plafond. Elles rendraient fou n’importe qui. Mais je suis déjà fou, pas vrai? Parfois, dans une de mes innombrables nuits sans sommeil, je compte, avec les gouttes pour métronome, les secondes, les minutes, les heures, l’infini. Plop. Plop. Plop. Des voix! J’entends des voix à nouveau!

Est-ce encore une hallucination, un mirage provoqué par ma solitude sans fin?

Non! Elles sont bien réelles cette fois! Mais qui est-ce? La curiosité l’emportant sur la peur, j’avance à pas de loup, les oreilles dressées, tous les sens en alerte. Prudence! Je me cache dans un angle. Je me méfie maintenant… Tiens! Les voilà! Avançant aux aguets, certains boitant. Des femmes qui pleurent doucement. Elles savent donc quelle créature se cache en ces murs? Parmi eux, un homme. Il est magnifique, même dans la pénombre. Dans sa main gauche, il tient un flambeau, une belle épée réfléchissant la lueur de la flamme orne sa ceinture. Son air affiche une grande détermination. Il semble mener tous ces hommes Je ne peux en détacher mon regard. Le feu m’effraie et me fascine au même moment. Je ne puis m’empêcher d’avancer, chancelant, vers cet homme magnifique. Il a en lui quelque chose de divin. Je veux le toucher. Sentir qu’il est réel. Il me conduira à la lumière… Sortir de ce trou!

Un hurlement me sort de ma rêverie. Une des femmes de la procession m’a vu. Submergé par l’euphorie, j’ouvre les bras et je cours vers eux… quand je vois, dans le bouclier scintillant, à la lueur des flambeaux, une créature ignoble, couverte de poils, les yeux rougissants, la tête ornée de cornes brisées. Mon reflet. Enrobé de flammes, flammes de ce feu qui m’effraie tant. Pris de panique, je recule, évitant de justesse un flambeau lancé dans ma direction. Mes souvenirs reviennent en trombe. Non…. Non, non. J’attrape ma tête entre mes mains. Je combats ces pensées soudaines. Mais mon passé, tapi tant d’années dans ma mémoire, refait surface.

Une très belle femme se tenait au milieu de la pièce. Ses épaules délicates tremblaient, tressaillant de sanglots étouffés. Soudain, elle cessa ses pleurs et se tourna vers la petite silhouette dans l’autre coin de la pièce. « Mon chéri », ronronna-t-elle, « Mon amour ». Elle s’avança d’un pas léger, une bougie à la main. « Mon cher fils », dit-elle en passant la main dans ses cheveux. « Mon cher fils », répéta-t-elle. « Je te hais », murmura-t-elle, « Je te hais , je te hais, JE TE HAIS », hurla-t-elle. « Toi , autant que ton père. Tu as gâché ma vie! » Elle hurlait, son visage déformé par la rage. « Tu m’as couvert de honte. Espèce…. Espèce de monstre ! Qui voudrait d’une créature comme toi! » Finissant sa tirade, elle baissa la tête. « J’ai donné naissance…. J’ai donné naissance à un animal? », chuchota-t-elle.  Un silence pesant plana quelques secondes. Puis une sorte de grondement, entre le rire et les pleurs sortit de la bouche de la femme, une cacophonie qui résonnait dans la pièce et se répercutait sur les murs. Elle rejeta sa tête en arrière et rit, rit, hystérique. Elle se tourna enfin vers son fils, un sourire effroyable sur son visage.

 « Crève! »

 Puis elle lança la bougie à son visage.

La douleur emplit mon être au souvenir de ce moment. Je hurle encore et encore. Et me jette sur ce reflet pour détruire la source de ma douleur. J’attaque avec férocité cette vision. Tout à coup, j’entends le chant d’une épée dont le sifflement mortel s’approche de moi. Une douleur fulgurante me transperce la poitrine. Ma vision commence à se troubler mais, à travers le halo de larmes, je revois ce jeune homme à l’aura divine, tenant sa lame d’où coule et tombe en un rythme régulier des gouttes de mon sang. Plop. Plop. Plop. Les secondes, les minutes, les heures. L’infini.

J’ai enfin trouvé la sortie, je suis libre.

Valentine Liégeois


Athénée Royal de Marche, 6900 Marche-en-Famenne, Belgique

Professeur référent : Johanna Pellegrini

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