La littérature, école de la liberté

La littérature, école de la liberté

Remise du Prix de l’AFPEAH
Sénat, samedi 15 juin 2024

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Qu’il me soit d’abord permis de remercier les responsables de l’AFPEAH de m’avoir convié à cette belle cérémonie et plus encore de m’avoir proposé d’y prendre la parole.

C’est peu de dire que traiter d’un tel sujet en trois cents secondes relève de la gageure. Mais je m’y risque, avec peut-être plus d’enthousiasme que de discernement, et je vais le faire en deux points. Je serai d’autant plus bref que j’ai hâte d’entendre ce que les deux conférenciers à venir ont à dire à propos du mythe et du sublime, sujets auxquels j’ai moi-même beaucoup réfléchi et sur lesquels il m’est arrivé d’écrire. Leurs propos seront à coup sûr plus profonds que les miens.

La littérature, d’abord, est porteuse de liberté par les thèmes qu’elle se donne dans ses meilleurs moments : l’héroïne d’Antigone de Sophocle revendique, face à Créon, la liberté de désobéir au juridisme rigide, pour inhumer dignement son frère Polynice et faire ainsi prévaloir des exigences éternelles. Le Don Carlos de Schiller oppose le libre discours de l’amour et de la liberté à ces deux emblèmes de tyrannie que sont le roi Philippe II et le Grand Inquisiteur. Dans Les Misérables, sur fond d’oppression carcérale représentée par le bagne, ainsi que de répression politique, illustrée par Javert et par les canons et les baïonnettes qui prennent d’assaut les barricades, Victor Hugo proclame le lien indissociable entre justice et liberté. Quant aux surréalistes, s’il m’est permis de sautiller d’un genre à l’autre, comment comprendre leur œuvre sinon par la revendication qu’elle suppose d’une totale liberté de l’imaginaire et de l’inconscient face aux canons d’un certain académisme ?

Et puisqu’avec les surréalistes j’évoque le processus de composition littéraire, j’y trouve la transition vers le second point que je souhaite indiquer. La création littéraire, si on la considère maintenant du point de vue du lecteur, encourage toutes les associations d’idées, stimule donc la réflexivité, incite l’esprit à fonctionner par lui-même, pour lui-même et non à se laisser assujettir à tous les labeurs mécaniquement imposés et à un environnement médiatique aliénant autant que standardisé. Ainsi voit-on la littérature donner du sens à ce que d’aucuns ont qualifié de « temps de cerveau disponible ». La lecture devient donc un acte potentiellement révolutionnaire. Qu’ils sont grands et libres (mais rares, hélas) ceux qui, oubliant la séduction des réseaux sociaux, du téléphone portable ou des écouteurs, osent, dans le métro, tirer un livre de leur besace ! On les voit se concentrer, réfléchir et, parfois, lever les yeux pour sourire à leurs voisins.

Trois cents secondes, disais-je. Alors, je m’arrête car, citant un texte – que j’aime beaucoup – d’un poète anglais du XVIIe siècle, Andrew Marvell, j’entends « dans mon dos le chariot ailé du temps qui s’approche trop vite ».

Vive la littérature ! Et, aujourd’hui plus que jamais, vive le livre !

Alain Morvan


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ill. Comédie-Française. « Antigone », tragédie de Sophocle mise à la scène française par MM. Paul Meurice et A. Vacquerie, musique de M. C. Saint-Saëns. Supplications d’Antigone (Mlle Bartet) condamnée à mourir (2e acte). : [estampe] / A. Bell [sig.] ; E. Zier [sig.], Source : gallica, BNF

Alain Morvan, Recteur d’académie honoraire, professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle est l’auteur de nombreuses publications, parmi lesquelles :

Mary Shelley et Frankenstein : itinéraires romanesques, Presses Universitaires de France, 2005.
Frankenstein : et autres romans gothiques (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2014.
Dracula : et autres écrits vampiriques, textes traduits, présentés et annotés par Alain Morvan, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2019.
Eloge de l’incohérence, Paris, Editions du Lectisterne, 2023.

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