Icare 2025 – Résultats du Prix de l’AFPEAH

Icare 2025 – Résultats du Prix de l’AFPEAH



« Oiseaux, lances levées à toutes frontières de l’homme ! »
Saint-John Perse, Oiseaux (1962)

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Nous avons le grand plaisir de féliciter les brillants lauréats de la 7e édition du Prix de l’AFPEAH :

Le Prix de l’AFPEAH – Niveau Lycée (Jury adultes) est décerné
à Martin Desclèves pour “Illusions envolées”

Le Prix de l’AFPEAH – Niveau Collège (Jury adultes) est décerné
à Éléanor Stéphan pour “I-Car.e”


Le Prix Coup de cœur de l’AFPEAH -Niveau Lycée (Jury de lycéens) est décerné
à Basile Saillard pour «Tragédie »

Le Prix Coup de cœur de l’AFPEAH – Niveau collège (Jury de collégiens) est décerné à
à Éléanor Stéphan pour “I-Car.e”

À titre exceptionnel, un Prix spécial – Niveau Lycée est décerné
par les Responsables du Prix de l’AFPEAH
à Léonard Dambre pour “Le Métal froid, les pierres grises et les eaux noires”



Depuis sa première édition en 2019, le Prix littéraire de l’AFPEAH encourage de jeunes plumes à relire les grands mythes et à écrire une nouvelle autour d’une figure mythologique imposée. Cette année, elles étaient encore nombreuses, en groupe, en classe entière ou individuellement, à redonner lustre et vitalité au mythe d’Icare que nous ont légué Pausanias, Ovide, Virgile et Apollodore. Une fois encore plusieurs pays ont été concernés par le Prix de l’association : l’Angleterre, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, les Pays-Bas et la Suisse. Si nous félicitons bien sûr tous les candidats qui ont participé, nous remercions également les professeurs qui les ont accompagnés dans cette aventure. Tous les textes n’ont pu être récompensés, malheureusement. Il nous faut choisir et laisser sur le côté des récits qui auraient mérité, eux aussi, une distinction. La synthèse que nous avons rédigée vous donnera toutefois un aperçu de la créativité des élèves ayant participé à la 7e édition de notre Prix littéraire.

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Le Mythe


Que savons-nous d’Icare ? Peu de choses dans la mesure où il est éclipsé par son père, Dédale, l’artisan, l’architecte, l’inventeur, qui jaloux de l’ingéniosité de son neveu, n’avait pas hésité à le précipiter du haut de l’Acropole.

La suite du mythe est bien connue : enfermé dans le labyrinthe, Icare revêt les ailes fabriquées par son père avec du lin, de la cire et des plumes. Échappant à l’emprise de la monstrueuse architecture, il ne tient pas compte de la mise en garde de Dédale : « Icare, je te conseille de voler sur une ligne médiane, car, si tu vas trop bas, l’eau risquerait d’alourdir tes plumes, et trop haut, le feu du soleil pourrait les brûler. Vole entre les deux. Ne regarde ni le Bouvier, ni Hélicé, ni l’épée brandie d’Orion, c’est mon ordre ; suis ta route, en me prenant pour guide ! » (Métamorphoses, Ovide). Imprudent, Icare s’affranchit des recommandations paternelles, il s’éloigne de son père et vole vers le soleil, de plus en plus haut. La cire fond et l’enfant s’abîme dans la mer. Icare est donc d’abord un fils qui ne suit, ni n’écoute son père.

Malgré cette insubordination, le mythe d’Icare évoque le lien fort qui unit l’architecte à son fils. Le souvenir d’Icare demeure cher à son père. Ovide raconte que Dédale ramène le corps de son fils et édifie un tombeau sur l’île qui prendra le nom du défunt. Quant à Virgile, il raconte dans l’Enéide, qu’une fois arrivé à Cumes, Dédale submergé par la douleur ne parvient pas à rendre compte de la mort d’Icare : « Deux fois il s’efforça, ta chute, de la graver dans l’or, deux fois du père défaillirent les mains ».

Entre le soleil et la mer se déploie donc la brève existence d’Icare. La mer ne constitue pas un motif secondaire dans le mythe. Icare, on le sait, donne son nom à une partie de la mer Méditerranée (Diodore de Sicile). De sa mère, Naucratès, une esclave de Minos, ne subsiste qu’un nom qui évoque l’idée d’une domination sur la mer. Or si Icare s’abîme dans la mer dans la plupart des versions du mythe, il s’enfuit par la mer dans d’autres déclinaisons de son histoire (chez Pausanias, par exemple). Françoise Frontisi-Ducroux et Jacques Lacarrière ont également mis en évidence le lien qui existe entre la mer et le ciel en soulignant que « le lexique grec ancien relatif au ciel et à l’envol est identique à celui de la navigation. […] Le terme latin remigium – qui a donné le français rémige – signifie à la fois rame et plume d’oiseau » (J. Lacarrière, L’Envol d’Icare). La mort par noyade scelle dans chacune des versions le destin tragique d’Icare et lui confère une partie de sa texture imaginaire. On ne peut imaginer Icare sans le soleil et la mer :
« vidi
ignuda l’ombra d’Icaro apparire.
Quasi il color marino aveano assunto
le sue membra, ma gli occhi eran solari »
(J’ai vu l’ombre nue d’Icare apparaître.
Ses membres avaient presque la couleur de la mer,
mais ses yeux étaient solaires)1

Renvoyant à la lumière si particulière de la Grèce, le mythe possède également une forte dimension axiologique. Alors que Dédale n’a cessé de rivaliser avec les dieux et donc de contrefaire la création en inventant des statues animées, une fausse vache, ou de faux oiseaux, Icare incarne une autre manifestation de l’hybris. Son vol vers le soleil a très vite été assimilé à cet orgueil insensé qui fait que certains êtres échappent à la mesure des hommes. Le mythe repose sur des lignes de force qui bâtissent son architecture symbolique et morale : de fait, Ovide met en évidence le contraste qui oppose Ariane à Icare. L’une, secourue par un dieu, aidée et aimée de Dionysos, accède aux cieux et se mue en constellation, l’autre, enclin aux transgressions et fils d’un père aux prétentions démiurgiques, s’abîme dans les flots. Le récit se nourrit de verticalités implacables. Démesure et transgression, hybris et démiurgie sont systématiquement réprouvées dans la pensée antique.

La symbolique du mythe va toutefois s’infléchir dans la culture européenne. En valorisant le fils, la chute devient « motif d’exaltation. Là où l’Antiquité et le Moyen Âge prononçaient une irrévocable condamnation, les Temps modernes renversent toute négativité en élan et en gloire, voulant à toute force que le fils vole de ses propres ailes. Icare devient le prête-nom, l’homme de plume(s) d’un rêve d’absolu qui ne porte plus le nom d’hubris. » (Michèle Dancourt, Dédale et Icare). Comme le souligne Marc Eigeldinger, dans Lumières du mythe, « les poètes de la Renaissance et de l’âge baroque affranchissent le mythe des catégories de la morale pour célébrer l’aventure du vol d’Icare, en tant qu’image de l’éros ou de l’écriture », tandis que « pour les poètes du XIXe et du XXe siècle, Icare représente tour à tour le tourment de l’impossible et la passion de l’absolu, la nostalgie du vol représentant le progrès, les avatars de l’aviation, la condition du poète hanté par le désir du Beau ou la projection de l’imaginaire au-delà des obstacles du réel ».

Fils téméraire et inconséquent, figure en proie aux séductions de la lumière, coupable d’orgueil ou épris d’absolu, Icare est aussi l’innocent qui devait rester enfermé dans le piège imaginé pour le Minotaure. 
« Ainsi dans le labyrinthe, quand il eut longtemps couru, quand il eut traversé ces milliers de salles, de couloirs, quand il se fut tellement perdu dans tous ces tours et détours, dans tous ces coins et recoins, dans toutes ces sinuosités sans nombre, d’impasse en impasse, de faux-fuyant en faux-fuyant, et toujours les mêmes portes, toujours les mêmes murs, il y eut un moment sans doute où Icare, épuisé, à bout de forces et de courage, hors de souffle et d’espérance, comprit qu’il n’y avait pas d’issue, nulle part, que sa course était vaine et folle, tous ses efforts inutiles, et tout espoir illusoire. Alors il s’arrêta. Et je devine le bruit de son souffle, et ce silence en lui comme une mort. Ou peut-être il n’eut pas besoin de courir, connaissant d’avance le génie sans faille de son père… Qu’importe. Je l’imagine assis par terre, le dos contre un mur, la tête sur les genoux… Et soudain la sérénité étrange qui le saisit. L’angoisse qui s’annule à l’extrême d’elle-même. Le désespoir. » (André Comte-Sponville , Le Mythe d’Icare. Traité du désespoir et de la béatitude – 1) 

Pas de soleil, donc, pas d’ascension, ni de chute sans claustration, sans expérience de l’effroi labyrinthique. Le motif du labyrinthe dramatise la brève destinée d’Icare, c’est certain, mais il révèle également la portée initiatique du mythe : il symbolise l’enfouissement nécessaire, la germination, avant l’accès à la lumière. 

I-Prix de l’AFPEAH (Jury adultes)


Père et fils

Dans l’imaginaire collectif, Icare est dépeint dans l’ombre de son père, dans le giron paternel, quasi inséparable de Dédale, à l’instar des couples célèbres de la mythologie. De fait, une réécriture du mythe d’Icare courait le risque de privilégier Dédale, la figure tutélaire et créatrice. Si notre sélection a pris en compte cet écueil en retenant les nouvelles qui donnent du relief au fils, il est indéniable que la relation filiale modèle profondément le mythe et le destin d’Icare. 

« Puer Icarus una stabat et, ignarus sua se tractare pericla […] » écrit Ovide au livre VIII des Métamorphoses. Comme dans le récit ovidien où Icare batifole avec les plumes et la cire, plusieurs nouvelles mettent en lumière la frivolité d’Icare, encore infans, étymologiquement « celui qui ne parle pas » mais qui observe en silence ce qui l’entoure. Ainsi Yikaluosi, dans la nouvelle éponyme, « tôt écoutait mais que tard ne parla. […] entre père et fils, seulement les mots nécessaires étaient échangés. On l’aurait dit muet lorsqu’il sortit dans les rues. » Quand son père bibliothécaire l’encourage à apprendre à lire, le jeune garçon de dix ans gambade entre les rayonnages et répugne à écouter les histoires sanguinaires que lui narre son père. Dans les premières lignes de « Prise de bec », Jonathan Pigeon est dépeint comme un « oisillon », certes moins folâtre et taquin que ses frères et sœurs « aussi naïfs et tapageurs que peuvent l’être les plus vifs pigeonneaux ». Dans « Le labyrinthe des défis », Icare est présenté comme un « jeune intrépide » avide de gagner un jeu télévisé tandis que son père ne cesse de l’admonester. 

Cette puérilité n’est cependant pas dénuée d’intérêt et de curiosité pour les inventions de Dédale. Icare a grandi parmi les créations de son père : de l’idée de la pelote de laine à la conception de la génisse en bois. Dans « Rêve fatal », Icare, jeune survivant d’une guerre nucléaire, est fasciné par le ciel de l’ancien monde et les exosquelettes que lui dévoile son père, fier de sa création. Dans « Le rêve envolé », E-Kar a hérité de l’ingéniosité de D-Dall et dessine des prototypes d’ailes pour devenir à son tour « le maître de son propre vol ». La promiscuité induite par la claustration labyrinthique est certainement propice à la transmission du savoir. Père et fils s’accordent, s’unissent le temps de la fabrication des ailes et des injonctions paternelles à la prudence. Si, comme l’écrit Ovide dans le livre II de L’art d’aimer, « souvent le malheur éveille l’industrie », cette transmission d’un savoir au cœur même de l’adversité est aussi désir et rêve de vol. Icare a entendu  la parole libératrice de son père :  « Fût-il maître de tout, Minos n’est pas maître de l’air. Il dit, et il tourne son esprit vers l’étude d’un art nouveau, ouvrant de nouvelles voies à la nature ». Dans L’air et les songes, Gaston Bachelard voit dans la contemplation de l’air la libération de l’énergie créatrice. Dédale comme Icare en éprouvent les bienfaits ; l’ingéniosité et l’ingénuité, au-delà de leur parenté étymologique, partagent le même élan ascensionnel et forment le diptyque du père et du fils. L’homo ludens rejoint l’homo faber.

Les relations entre le père et le fils ne sont toutefois pas homogènes dans ces réécritures. Icare doit parfois s’affranchir de l’autorité charismatique du père pour exister à son tour. “Fils autonome, fils discret; fils image ou fils miroir” tel est Yikaluosi, qui “marchait dans l’ombre de son père sans jamais en partager l’ambition.” Comment se définir par rapport à un père brillant ? S’émanciper, s’effacer, ou s’efforcer de lui ressembler ? En fait, comme dans le mythe, le fils peine souvent à exister, à se définir et donc à s’affirmer : « Depuis tout petit, je n’étais que le fils de Dédale. Enfant, je me rendais invisible aux yeux de tous […] Je m’appelais Icare et je savais que je ne serais jamais aussi illustre que mon père » (« Le Fils de Dédale »). Il demeure en retrait dans « Sola sub nocte », « seul, dans [s]on affreux attirail de corbeau », il s’isole « afin de s’éloigner de la gloire de [s]on père », un Dédale, triomphant, paré d’un masque de faucon. Dans « Vaincre l’impossible », lorsque son avion le conduit vers le soleil et vers une gloire hypothétique, c’est à son père qu’il pense. Rivalité et admiration : « Mon père, grand savant, me vénérera ! […] Je veux toucher le soleil ! ».

Sortir de l’ombre, accéder à sa propre lumière, gagner le soleil. Survivre ou périr. Il s’agit pour le fils d’échapper à la force d’attraction que constitue Dédale, de sortir de son centre de gravité, d’échapper aux séductions et circonvolutions de son esprit lumineux. Ce n’est pas facile, dans « Psychée », Icare meurt, emprisonné dans l’esprit labyrinthique de l’architecte : « il aperçut au détour d’une allée une idée de son père, qui brillait d’un éclat incomparable. Icare arrêta net sa marche et s’abîma dans la contemplation de cette image étincelante. » Les tensions s’exacerbent dans certains récits. L’antagonisme engendre des souffrances, le fils est ridiculisé, réifié par son père qui le convertit en cobaye dans « L’Invention d’une vie » : il court « sous une pluie battante » pour éviter qu’un « réacteur ne surchauffe », il est jeté « du haut d’une falaise » lorsqu’il s’agit de « tester une nouvelle approche de démarrage ». Ce qui pourrait faire sourire est tragique, le fils, devenu « bête de foire », choisit de mourir pour échapper à son bourreau. 

Enfin, quand le père prend la stature d’un monstre pervers et violeur dans « Un oiseau sans elle », Icare n’a d’autre choix que la recherche d’une autre voie, loin de l’opprobre et des humiliations.  

Le Labyrinthe

Avant de regagner la terre grâce à la sépulture offerte par son père, Icare est donc retenu dans le palais crétois de Minos, prison terrestre, espace borné, horizontal et sinueux, à l’image de celui que contemple Enée sur la porte du temple d’Apollon et du Méandre qui “se joue dans les champs de Phrygie” dans l’oeuvre d’Ovide. C’est précisément les “méandres d’un cours d’eau capricieux” et une route qui “serpentait […] au creux d’une vallée encaissée” qui limitent et assombrissent la perspective du narrateur cycliste d’“Illusions envolées” avant qu’il ne prenne son élan artistique. Même lorsque le labyrinthe semble s’affranchir des lois de la pesanteur en s’inscrivant dans l’infini du cosmos, il conserve sa vocation première : “Les labyrinthes galactiques étaient des couches épaisses de nébuleuses qui emprisonnaient les navettes” (“Le Destin d’E-Khar”). C’est également le cas,  lorsqu’il se mue en “arène volante”, espace de claustration, dans lequel sont enfermés Dédale et son fils dans “Icare”. Ce motif de la clôture donne un caractère oppressant au cadre de plusieurs intrigues : les tranchées de la Grande Guerre et ses boyaux dans “Chère Marie”, une prison chinoise où les dissidents sont “humiliés, insultés, frappés et affamés” dans “Yikaluosi”, un pénitencier dans “Le Merveilleux Vol d’Icare”, le camp de concentration de Chongjin dans “Rien de nouveau sous le soleil de Corée”, “un bâtiment abandonné, dans la zone des accros” dans “Icare 2025”, les villes souterraines d’un monde post-apocalyptique (“Rêve fatal”), une société futuriste dans laquelle “l’Intelligence artificielle règne en maître” (“Le temps d’un battement d’ailes”), une forêt emplie de démons (« La Forêt des démons »), un collège inhumain dans lequel officie une directrice cruelle et perverse (“Icare et son fabuleux élixir”), un laboratoire secret dans lequel des savants s’ingénient à décupler les capacités humaines (“La Chute de Wom”). Le huis-clos est dépeint sous des couleurs moins tragiques dans “Le labyrinthe des défis” où il représente un plateau de jeu télévisé surplombé par un “dôme de verre”, “mélange de pièges et d’artéfacts étranges” où rôde un Minotaure de métal, l’adversaire du candidat Icare. Dans “Le Jour où Icare est tombé”, est évoqué un monde sans Transcendance, un univers sombre, sans espoir. Icare est un employé d’abattoir, il se fraie un chemin dans un labyrinthe étouffant dont l’évocation brutale possède une force incontestable : “Un long couloir éclairé au néon. Il dépasse une porte, une seconde, puis bifurque à droite. De la salle d’étourdissement proviennent des cris sourds, des piétinements. Encore un couloir, une bifurcation, et il parvient à la salle d’éviscération. […] Icare se fraie un chemin entre les corps frémissants et gravit l’escalier; parvenu sur la passerelle il est saisi de vertige et s’appuie au mur. L’odeur rance des bêtes affolées lui donne le vertige.” 

Le labyrinthe est, de plus, souvent présenté comme l’instrument d’une domination politique, l’ombre de Minos enserre alors les êtres dans les filets d’une emprise totalitaire : “Le schéma de son labyrinthe était tombé dans les mains d’un criminel qui avait décidé de mettre en œuvre son projet pour le transformer en une dictature et y enfermer une civilisation tout entière” (“L’Enfant méconnu”). La métaphore du labyrinthe est également sollicitée lorsque les élèves veulent mettre en évidence le rôle joué par l’argent dans les sociétés contemporaines :  “Il était au cœur d’un piège, dans un méandre sans fin dépourvu de chemin clair dont seuls les plus grands directeurs financiers du pays pouvaient trouver la sortie” (“Le Poids des rêves”).
Par un habile jeu métonymique, le labyrinthe représente également les méandres d’une conscience tourmentée, celle d’Ira, une adolescente anorexique dans “L’esprit est dédale”, celle de Skye, une jeune fille brisée depuis la mort de sa mère (“Les Ailes du courage”), celle d’un adolescent harcelé et dépressif qui se replie dans sa chambre et ses idées noires (“Faire croire et laisser paraître”). Minos condamne Icare et son père à être “cloîtrés dans des dédales de pensées interminables” dans la très intéressante nouvelle “Psychée”. Icare est le jouet d’hallucinations, à moins qu’il ne s’agisse que d’un rêve dans “Et ils m’ont inspiré de leurs ailes” ; son esprit labyrinthique se met à égrener les éléments qui l’entourent : “Le couloir se sépare / En deux / Escalier, lumière, soleil, chaleur / Tunnel, obscurité, ombre, fraîcheur […] Le mur, je glisse”. Le calligramme mime alors les sinuosités du labyrinthe, il évoque la dualité du repaire du Minotaure, la clôture ténébreuse et l’ouverture lumineuse.

L’envol

Fortement lié à la Méditerranée, à sa lumière et à ses grands espaces, le labyrinthe est en effet un symbole solaire en raison de la double hache, emblème de la royauté et de la foudre dans le palais crétois de Cnossos. La formule de Dédale « Terras licet » inquit « et undas / obstruat, at caelum certe patet. Ibimus illac ; / omnia possideat, non possidet aera Minos »2 sonne comme un défi et inaugure l’émancipation d’Icare

Plusieurs nouvelles ont joué avec les symboles de la plume et la charge sémantique du substantif. Ainsi, les plumes qu’Icare saisissait au vol pendant le travail de son père deviennent le matériau de deux matelas éventrés et retrouvés après une évasion dans “L’expert à Kamalata” ; Jonathan Pigeon, si impatient de prendre son envol dans “Prise de bec”, “attendait le moment béni où de vraies plumes remplaceraient le duvet grisâtre”. Dans un registre plus poétique, les plumes d’oreiller du narrateur assoupi d’”Illusions envolées” l’emportent dans le monde onirique de la littérature, tout comme la plume de “roseau sec” tenue par le père de Yikaluosi au moment où il se met à conter son histoire. Dans “Le chant du Phoenix”, un jeune elfe se met en quête de la dernière plume de l’oiseau immortel et consulte un sage qui lui remet un talisman plumé. 

Symbole de puissance aérienne, la plume libère Icare des pesanteurs du monde et lui confère les vertus de l’ange ou de l’artiste. “L’épithète qui est la plus proche du substantif air, c’est l’épithète libre”, écrit Gaston Bachelard, dans L’air et les songes. Dans plusieurs nouvelles, le jeune garçon ailé incarne en effet l’imagination ascensionnelle et dynamique décrite par le philosophe. Ainsi, dans “Illusions envolées”, les coups de pédale mettent en mouvement la pensée du jeune écrivain avant que les livres ne prennent le relais : “Je les effeuillai rageusement et confectionnai avec ces pages, témoins de siècles de littérature, les ailes de mon succès”. Dans “L’union fait la force”, Icare se met à rêver à la légende du mont Céleste quand une plume virevolte à ses côtés, “il la pr[end] et la tourn[e] entre ses doigts, fasciné par sa délicatesse”. Quelques syntagmes lexicalisés disent la parenté entre l’aile et le langage. Ainsi dans “Chère Marie”, Daniel confie son inquiétude au sujet des velléités de désertion d’Isaac : “plus son regard s’envolait haut vers les cieux et plus ses paroles battaient des ailes”. Régis, dans “Le Marquis et le Soleil”, ne peut se refréner malgré la leçon de son père mourant, “il se croyait porté par des vents favorables et ni le deuil ni la peine ni les conseils avisés de Déandre ne pouvaient lester les ailes qu’il se sentait pousser dans le dos”. Les dernières lignes de la nouvelle donnent raison au vieil homme, tant Régis est tombé “plus bas que terre après avoir touché son rêve de royauté du bout des ailes”. 

L’évocation du vol, figuration symbolique d’un désir d’absolu, voire d’un orgueil démesuré, s’est prêtée tout naturellement à une série de métaphores dont nous retiendrons trois motifs dominants au sein des nouvelles : le vol de l’homme-oiseau, celui de l’homme-objet-machine puis l’homme-dieu. Le livre VIII des Métamorphoses peint clairement le passage de l’homme au volatile par la mimesisut ueras imitetur aues”3 et la comparaison “uelut ales, ab alto quae teneram prolem produxit in aera nido”4. Les nouvelles sont de ce fait traversées par une riche gent ailée. Dans “Plumes de rêves”, Michel-Ange est “intrigué par le vol de majestueuses hirondelles” avant de s’arrêter devant “une échoppe vendant des dizaines de moineaux et de passereaux prisonniers de leurs volières” tandis qu’“une nuée de tourterelles” l’accueille au-dessus du palais florentin, au seuil duquel l’artiste s’écrie devant de Vinci : “je ne suis pas un fou excentrique qui veut devenir un oiseau !” La référence à l’Albatros dans les dernières lignes d’“Illusions envolées” rapproche la destinée du jeune artiste de celle de Baudelaire. Fuyant une dictature, le héros d’“Icare ou la liberté à portée d’ailes” est touché par le chant d’une “aigrette garzette” et le “vol majestueux de cet échassier au plumage blanc”. 
La nouvelle ayant poussé l’identification de l’homme à l’oiseau à son point le plus haut est sans doute “Prise de bec” avec l’allusion au personnage de Richard Bach, Jonathan Livingston le goéland : “Papa et Maman Pigeon, comme tous les membres de la famille Pigeon, travaillaient dans l’import-export. Ils fondaient sur les marchés urbains, tels des aigles majestueux, leurs roucoulements déclenchaient la frayeur parmi la population”. Jonathan Pigeon, moins niais (étymologiquement “pris au nid”) que sa fratrie, rêve d’un envol qui donnerait tort à Agatha Pie, la commère du nid voisin. Dans la nouvelle au titre évocateur “Imiter les oiseaux”, le narrateur se plaint de “bayer aux corneilles” quand le spectacle d’une “nuée de mouettes” le délivre de sa torpeur et l’encourage à créer un objet volant. 
Le mythe d’Icare est aussi celui de la technique, de cette technique qui fait parfois croire aux hommes qu’ils sont supérieurs aux dieux. Le tailleur Franz Reichelt, personnage éponyme admiratif de Louis Blériot, n’a qu’une idée en tête : “créer un costume permettant de voler”, “inspiré de la morphologie des chauves-souris et autres volatiles”. Dans “La Fuite”, Kaïs s’échappe de l’île dans laquelle il est enfermé, grâce au deltaplane qu’il a confectionné. Icaro est le nom de la machine à voler de “Plumes de rêves” : son concepteur “prit de l’huile et en graissa les rouages, vérifia la mécanique, puis commença à la hisser […] à l’aide d’un astucieux système de poulies”. Dans “Le Dernier Virage”, c’est la voiture de course qui se pare des ailes d’Icare : Denis, le père mécanicien du jeune Isaac, dote ainsi le bolide d’un “aileron imposant mais élégant”. Les références à l’aéronautique et à la conquête spatiale sont nombreuses. Thaïs s’élève dans les cieux à bord d’une fusée et finit par se perdre dans “le vide intersidéral” (“L’Ascension de Thaïs”). La nouvelle “L’Icare moderne” brosse le portrait de Vladimir Komarov, le premier cosmonaute russe à mourir lors d’une mission spatiale : “Autour de lui, ce n’étaient pas des ailes, mais la toute nouvelle capsule métallique Soyouz, qui faisait la fierté des Soviétiques”. La même folie des grandeurs anime les ingénieurs du Concorde, l’“oiseau de fer” de “Tragédie” : “Fer, Titane, ailes delta, aluminium, moteurs turbofan à postcombustion. Le génie créatif d’Héphaïstos est démodé, dépassé…et l’Etna se tient coi”. Dans “Un ange déchu”, deux jeunes hommes caressent le rêve d’être aviateurs puis finissent par piloter le même avion. Dans “Le destin d’E-khar”, le Dr. D.Dalle et le Dr. Min-ohs rivalisent d’inventivité jusqu’à ce que le premier crée une boîte intelligente munie d’un capteur émotionnel. La nouvelle au titre original “I-Car.e” met en scène une course à l’innovation pour la fabrication de voitures ailées… 

La Chute

Contre toute attente, il arrive que la chute ne soit pas toujours présentée comme un châtiment. C’est en effet une forme de catharsis que vit le jeune artiste  d’«Illusions envolées ». Ébloui par le soleil comme l’étaient les Grecs devant une tragédie d’Eschyle, il s’incline face aux poètes, les “phares dans l’obscurité”.
Dans “Tragédie”, en revanche, elle s’énonce sur le mode de la sanction. “[L]es yeux du monde entier […] braqués sur Toulouse” inscrivent l’accident du Concorde dans une théâtralité et un spectaculaire qui ont valeur d’exemplarité. Le destin de l’avion est clairement énoncé dès l’acte I : “Tous l’ignorent encore, mais dans quelques années, cent-treize personnes, emportées dans le ciel par cette soif inextinguible de toujours défier les dieux, en perdront la vie”. Les signes du fatum irriguent les nouvelles : Le “rai de lumière” qui éblouit Jonathan Pigeon est-il le signe que “les nuages n’étaient que des miroirs aux alouettes” et qu’il serait bien vite victime d’un “immense oiseau métallique” ? Dans “Yikaluosi”, le poids de l’Histoire chinoise conjugué à la séduction des récits de guerre fait du père et de son fils les victimes de l”ironie du ciel”. Le prénom “Régis” dans “Le Marquis et le Soleil” n’est-il pas annonciateur de la démesure de celui qui convoite la couronne ? Le châtiment prend la forme d’une chute, dont la trajectoire et la vitesse contrastent avec celles de l’élévation. “La descente fut ô combien plus prompte que la montée” reconnaît le narrateur d’”Illusions volées”. 
En effet, si l’envol est peint comme un mouvement modéré et croissant pendant lequel Icare reste dans le champ de vision de son père, la chute est souvent précipitée, allant parfois jusqu’à se décliner sur le mode du suicide. Dans “Icare 2025”, nous suivons les derniers jours d’un jeune toxicomane de Dublin, “oiseau en cage” que rien ne peut détourner du chemin de la drogue et qui s’éteint lors d’un saut dans le vide. Dans “Comment voler sans elle…”, sont évoquées les addictions aux stimulants intellectuels utilisés par certains étudiants. Isaac réussit enfin ses examens, mais il chancelle psychologiquement, la drogue lui fait perdre le sens des réalités. Sous l’effet des stupéfiants, l’étudiant se défenestre : “Il s’approcha de la fenêtre de son balcon, l’ouvrit, monta sur la rambarde et observa la lune. Elle était si belle, et lui se sentait si bien. Il lui tendit les bras pour s’en rapprocher.” La narration est interrompue par un « Flash info » qui dit sèchement toute l’horreur de la réalité : “Hier soir, un jeune étudiant parisien, sous l’emprise de drogues, a été retrouvé mort dans la rue.” La vitesse, atout majeur du magnifique Concorde, sert à énoncer sa disparition, comme le soulignent les dernières phrases elliptiques de “Tragédie” : “Lamelle de métal. / Une minute, vingt-huit secondes. Explosion. Rêve et hôtel brisés. Cent-treize morts. Fin du Concorde.” Dans “La lumière qui cachait la tempête”, le maire Icaros entraîne un soleil artificiel dans “sa chute inexorable”, faute d’avoir respecté les consignes de sécurité. Le destin du funambule de “Chute libre” était inscrit dans la corde qui ne le retient plus quand il saute de la falaise. L’auteur de la très belle nouvelle intitulée “Le Métal froid, les pierres grises et les eaux noires” propose une version alchimique du mythe, il surdétermine le mythème de la chute en exhibant une humanité suicidaire, une humanité qui a succombé en raison de son orgueil démesuré.  L’incipit met en scène un gigantesque anéantissement : “Tout semble s’effondrer, les immenses cathédrales des villes, touchant presque les cieux, voient leurs fondations s’effriter, se désagréger, le tout s’écroule dans une tempête de poussière noire. Les forteresses s’affaissent, s’engouffrent dans des trous béants”. Dans ce récit, il est toutefois un bel oiseau doré, mais celui-ci est captif, il est enfermé dans une petite boîte à musique. Figure de l’idéal, incarnation d’une beauté singulière, il n’a pas réussi à subsister dans un monde rempli de vanité et d’effroi : “l’oiseau fait d’or [est] devenu un tas de charbon”. L’instance narrative est ambiguë : est-ce Dieu ou l’humanité elle-même qui a échoué dans sa quête d’absolu ? Le monde agonise, des guerres absurdes ont changé l’univers en cendres : “Les aéronefs guerroyant à la frontière entre les airs et les nuages de suie, n’échappent pas à leur destin, chutant dans un déluge de flammes et de gémissements, il n’en reste plus rien, ce ne sont plus que des carcasses titanesques d’acier, éventrées, mortes, au milieu des cendres virevoltant, blanches, semblables à de la neige…”. Pourtant, in extremis, alors que tout semble terminé, une main sort des “eaux obscures”. “En son creux je crois sentir cette boîte à musique,/ Et un nouvel oiseau s’envoler”. “Pierre sang papier ou cendre”5, le rêve d’Icare n’est pas mort, la chute est conjurée. Le grand brasier devient creuset : de l’effondrement du monde naît la promesse musicale d’une nouvelle aurore.

Dans L’air et les songes, Bachelard évoque l’image paradoxale de la “chute en haut”, dans les abîmes du ciel qui représenteraient alors l’image inversée de la mer ou bien son prolongement : “L’aile est essentiellement aérienne. On nage dans l’air, mais on ne vole pas dans l’eau. L’imagination peut continuer dans l’air ses rêves de l’eau, mais elle ne peut ensuite vivre la transcendance imaginaire inverse« .
Ce motif se retrouve dans quelques nouvelles où la chute n’est pas précipitée, où verticalité et horizontalité se conjuguent, même un court instant. Jonathan Pigeon connaît un instant de lucidité et ne tombe pas dans le piège de Narcisse quand il approche du nuage rêvé : Il “allait bientôt goûter sa douceur ; il paraissait si moelleux. Il l’atteignit enfin, mais à son grand étonnement, il le traversa sans obstacle […] Cette mousse blanche n’était-elle donc…qu’une illusion ? De la simple vapeur d’eau ?” (“Prise de bec”). Dans “Christophe Dédale et l’envol vers l’inconnu”, la descente est vécue comme une victoire, celle de deux colons qui, après un vol transatlantique, posent les ailes sur une plage d’Amérique, en 1492. La conquête des airs rejoint celle des terres : “l’atterrissage fut un soulagement, un retour à la terre ferme après tant de temps à défier les airs. Icare, exténué mais ivre de joie, tomba à genoux.” La chute du héros se prolonge par un projet de découverte des abysses dans “Icare, explorateur du ciel et de l’océan”. Ce sont aussi les profondeurs marines que convoitent Erico – dans la nouvelle qui porte son nom – et deux jeunes plongeurs à la recherche d’une épave dans “Sur la réserve”. À l’inverse, Icariel, fille de triton, se hisse hors des flots et gagne le monde des hommes par une métamorphose (“La petite sirène”). Six ans après sa chute, un jeune garçon reprend vie dans les abysses où il retrouve sa mère (“Icare et l’Océan des destinées”), belle fable d’un retour intra-utérin. Ainsi, comme l’invitait la version du géographe grec Pausanias, plusieurs nouvelles ont donné autant, sinon plus d’importance à la mer qu’au ciel. Il est même des figures d’Icare coincées sous la glace dans ces palingénésies et des ailes gelées : l’eau remodèle le personnage en l’incluant dans une autre forme de rêverie.
Comme le suggèrent la dimension cosmogonique du mythe et la symbolique initiatique du labyrinthe, certaines réécritures imaginent donc un autre rapport à l’air, à l’eau, au feu et à la terre. La conjugaison ou la porosité des différents éléments replace l’individu au cœur du monde et non en son centre.

Si par hybris ou par imprudence, Icare connaît une trajectoire éclair, les nouvelles ont toutefois réussi à réinventer ce personnage dont on ne savait rien, le fameux détail qui figurait dans la toile de Pieter Bruegel. “Qu’en aura-t-il été d’Icare ? se demande Blanche Matheron, dans « Au Fond de la mémoire d’Icare », Ce garçon enfermé dans un labyrinthe dessiné par son propre père, vivant dans la peur constante d’un monstre que ce même père avait aidé à créer. Cet enfant qui survivait dans l’unique espoir de sortir un jour, pour retrouver la mère dont il avait oublié le visage, les amis dont il avait oublié la voix et les terres dont il avait oublié l’odeur”? Sans mémoire, Icare est déjà mort quand le texte commence. La nouvelle assume le paradoxe, mettant ainsi en lumière la fulgurance tragique de sa destinée : « Les médecins affirment que le cerveau humain reste conscient sept minutes après la mort. Sept minutes à ressasser nos souvenirs pour nous rappeler ce que nous avons été. Sept minutes. 
Un laps de temps qui, de notre vivant, nous paraît insignifiant, mais qui devient essentiel dans nos derniers instants. »

“I-car.e” d’Éléanor Stéphan (Prix de l’AFPEAH- niveau collège)

“Dans la majeure partie du monde [… les femmes demeurent contraintes] : vêtement obligé, mariage forcé, sexualité normée, violée ou ‘excisée’, instruction déniée, travail refusé, impayé ou diminué, fécondité imposée, contraception et avortement condamnés, promotion sociale et politique récusée, pensée censurée” (Séverine Auffret, Une Histoire du féminisme de l’Antiquité grecque à nos jours).

Un tel contexte a sans doute été pris en compte par Éléanor Stéphan qui a rédigé une “nouvelle engagée” à tous égards. La talentueuse collégienne a opté pour une figure féminine dans sa nouvelle “I-car.e” et fait de son personnage une icône de résistance et d’intelligence. Brillante ingénieure, Apollonia, choisit d’échapper à l’emprise de Skulemon, un père mégalomane et misogyne la cantonnant au rang d’ « ingénue écervelée » dont le rôle serait de « contribuer à l’effort de natalité ». Victime expiatoire sur l’autel d’un monde déshumanisé et technocratique, celle dont le nom évoque le dieu de la médecine, accomplit un acte de résistance radical dont le mot d’ordre pourrait se lire dans le titre même du récit « I-Car.e », « Je prends soin », en anglais.

“Illusions envolées” de Martin Desclèves (Prix de l’AFPEAH – niveau lycée)


Découvrant ce récit, nous avons, dès la première lecture, été saisis par l’admiration et par une émotion forte et paradoxale, celle que l’on ressent lorsqu’un lieu inconnu parle à notre âme.  De fait, en lisant « Illusions envolées », nous avons reconnu un inconnu, d’où le trouble et l’émotion qui se sont emparé de nous. Comment pouvait nous sembler familière une voix aussi singulière que celle du jeune Martin Desclèves ? En analysant notre propre expérience de lecteur, nous avons compris que ce sentiment de familiarité naissait de la confrontation de ce texte avec notre goût des mots et des lettres. Dès l’incipit, la référence à Proust est claire. Du côté de chez Swann constitue un des hypotextes majeurs de la nouvelle. Mais il ne s’agit pas là d’un simple pastiche. En effet, en lisant Martin, on hésite et on se demande qui a nourri sa voix : Proust bien sûr, Ovide, Chateaubriand, Lautréamont, Nerval, Gautier, Baudelaire ? Tous ceux qui ont exploré les arcanes de la création littéraire, qui ont réfléchi à la dimension métamorphique de la littérature. Leurs voix se mêlent pour n’en constituer qu’une, comme ces créations de l’imaginaire qui naissent de la fusion des souvenirs, du rêve et du réel.

La maturité de la voix qui s’impose, limpide et lumineuse, sert un sujet âpre, presque austère, mais tellement noble : dans cette nouvelle, Martin Desclèves s’intéresse en effet au concept de l’innutrition cher à Du Bellay. Entre imitation et appropriation parfaitement « digérée », Martin, suivant les pas d’Ovide, de Baudelaire et de Marcel Proust, trouve son propre chemin. La figure d’Icare évoque celle d’un jeune écrivain tiraillé entre la veille et le rêve, la lecture et le réel. Le narrateur dévoile les coulisses de son atelier, le moment où, comme chez Proust, la création suppose un entre-deux et une forme d’indécision vertigineuse. C’est tout l’être qui vacille alors dans une brillante introspection qui s’attache à saisir toutes les facettes de la réalité, non pas celle à laquelle on pense spontanément, celle qui se réfère à une approche cartésienne du réel, mais celle, complexe, qui agite les vrais artistes, ceux qui perçoivent toutes les déclinaisons et vibrations des êtres et du monde. 

La palingénésie du mythe est aussi, dans cette nouvelle, une ode à la création littéraire, un hommage rendu aux poètes. Il est difficile de dire toute notre admiration pour ce texte exceptionnel qui devrait figurer dans toutes les anthologies littéraires. Et s’il est également difficile de distinguer le jeune auteur de la figure d’Icare mise en scène, il est néanmoins possible de saluer l’immense talent de ce grand lecteur, qui sait, d’ores et déjà apprivoiser mélancolies  et chimères. 

“Le Métal froid, les pierres grises et les eaux noires” de Léonard Dambre
(Prix spécial accordé à titre exceptionnel par les Responsables du Prix de l’AFPEAH)

ill. L’Énigme, Gustave Doré

Véritable cosmogonie à la fois nostalgique et prophétique, le texte brillant et bouleversant de Léonard Dambre est partition hermétique au sens alchimique du terme. Cette déclinaison du mythe d’Icare se lit également comme un cri de détresse et d’amour déchirant adressé à notre humanité qui, de ses rêves et de ses histoires fait surgir des cauchemars à l’image de la grande Tour occupant le centre du texte. Nouvelle Tour de Babel vers laquelle n’a cessé de tendre une humanité aveuglée par son orgueil, la Tour “s’effrit[e], par[t] en poussière, calmement, sans un bruit, lentement” alors que des vagues muettes s’écrasent sur le rivage … L’écriture rimbaldienne mime un univers apocalyptique, un monde qui se désagrège faisant alterner prose, vers et calligrammes. Du terrible incipit qui évoque un monde ravagé par les guerres, oublieux de son passé, de ses mythes et de son présent surgira pourtant une promesse de beauté et de tendresse : les cauchemars enfantent à nouveau le rêve et le désir d’idéal. Il fallait que la tour soit abolie, que les étoiles périssent pour que, peut-être, renaisse l’humanité.

Résultats

Nouvelles ayant obtenu des points :
[Un nombre important de nouvelles a été écarté, faute de lien avec le sujet].
NB : Il est arrivé que certaines nouvelles portent le même titre, dans ce cas, nous avons donné les premiers mots du texte.

COLLÈGE

Entre trahison et fidélité 14
La Mort dans l’âme 81
R&Dad 17
Le Mystère du livre d’Icare 51
Hybris 15
Icarlune sur la lune 15
Le Mythe d’Icare : l’île d’Ardith 20
Le Prix de la tromperie 3
Taho et l’attraction de l’enfer 11
Η πτώση (la chute) 7
Le compte d’Icare 10
Dédale et Icare 7
Un nouveau départ 3
Son dernier cri 8
L’oiseau mécanique 7
Le Mythe d’Icare revisité 10
Par la voie des airs 8
Les aventures d’Icare 4
Je me souviendrai toujours de cette journée-là 5
Τό μαγικόν πτερόν (la plume magique) 18
Icare ou la liberté à portée d’ailes 81
Au-dessus du monde 13
Icare le collégien 9
La dernière course de Victor 11
Icare à la poursuite du rêve 7
Carry: deuxième envol 18
Chère Marie… 84
Le Marquis et le soleil 130
Le Chant du Phoenix 16
La Chute de Wom 70
I-Car.e 174
Vaincre l’impossible 77
Zéphyr 11
Les énigmes en labyrinthe 4
Le crime de la tour des orphelins 5
Courir contre le feu 5
Une Odyssée dans l’Atlantide 8
Les ailes de Maïa 8
Le magistrat Stravos 18
Le Hacker de lumière 7
Hannah et le Kraken 5
La Forêt des démons 12
L’Histoire d’Elena 7
Burn-out 13
Icare et son fabuleux élixir 14
Les Ailes du courage 115
La Tentation coûte cher 16
IN MEMORIAM 58
L’Union fait la force 109
Rien de nouveau sous le soleil de Corée 70
Icaria 7
Immortal 10
L’envol à travers les temps 7
Qu’Ovide-25 16
Adan 7
la fuite 12
Icare à son père 6
La véritable histoire d’Icare 5
Comment trouver l’amour selon Icare? 16
Icare au futur 4
Icare et l’alpaga volant du zoo 5
Dédale et la conséquence 5
Si Icare avait survécu 8
La création de la montgolfière 12
La légende d’Icare 15
Les six voyages d’Icare 10
R-Icar-d 7
Réécriture du mythe d’Icare 5
Le Merveilleux vol d’Icare 13
Le Mythe d’Icare 6
Icare [Jadis, dans une lointaine galaxie] 7
L’ascension de Thaïs 23
14-18 ou le mythe d’Icare et Dédale 9
BestLife 2. 4
Vers l’infini et l’au-delà 6
Icare [Djibril] 6


LYCÉE

Icare, 2025 74
Double jeu 10
Comment voler sans elle 17
Le Rêve envolé 51
L’Histoire d’Icare 8
Icare, explorateur du ciel et de l’océan 8
La Chute 10
Icare 9
La Quête d’Iria 9
Un amour brisé 19
L’Icare moderne 12
Le Labyrinthe des défis 89
Sous la glace 10
Icare et le Minosaure 5
Regrets éternels 12
L’Esprit est Dédale 79
L’Expert à Kalamata 69
Le Jour où Icare est tombé 20
Icare et Dédale : l’Ultime Chute dans un Monde Eteint 12
Sola sub nocte [sous la nuit solitaire] 12
Journal de fuite 12
L’invention d’une vie 15
Jugement dernier 12
L’être mi-humain mi-oiseau 7
La lumière du feu 14
La lumière qui cachait la tempête 55
La mission d’Icare 14
La petite sirène 16
Le dernier virage 14
Le destin d’E-Khar 14
Le piège de l’innocence 12
L’enfant méconnu 16
Profondeur et vérité 16
Le poids des rêves 12
Yikaluosi 103
Un oiseau sans elle 54
Au fond de la mémoire d’Icare 68
Dédale et le Gardien Robotique 5
Plumes de rêves 25
Les Gardiens de la Mythologie 10
Christophe Dédale et l’envol vers l’inconnu 12
Icare et Dédale contre Mino-X : l’Ultime Chute 14
La Légende du vol interdit 7
Ikar le hussard 6
Icare 2112. 6
Dédale, l’homme qui n’avait pas appris de ses erreurs 6
Le hacking de trop 4
Le Rite 11
Et ils m’ont inspiré de leurs ailes 17
Oisillon, ne pleure pas 12
Psychée 21
Les ailes de la revanche 69
Illusions envolées 244
Aube nouvelle 12
Icare, ou l »histoire d »une chute 12
Un ange tombé du ciel 10
Rêve fatal 16
Sur la réserve 12
Souviens-toi qu’il va mourir 93
Chute libre 59
Acire 9
Libéré par le vent 10
A la recherche de la vérité : l’ascension d’Iris 9
Amor vincit omnia 7
Faire croire et laisser paraître 14
Mes propres ailes 18
Icargot 12
Imiter les oiseaux 15
Au rez des étoiles 14
Le temps d’un battement d’ailes 70
Victoire inachevée 8
Voler trop haut 7
Le fils qui en a trop fait 6
Le conte d’Icare 9
Erico 9
Le petit inventeur 4
La roulette 5
Franz Reichelt 28
Tragédie 113
Un ange déchu 12
Burn-out 8
Ultimatum 8
Prise de bec 73
Icare et le rêve du ciel 8
Le Rêve d’Icare 13
L’Orchidée 3
Icare et le satellite piégé 5
Icare et l’Océan des destinées 7
Icare plongé dans un souvenir lointain 6
Le Vol inachevé 5
 L’innocente hybris 14
Mémoires de Venise 23
Le Métal froid, les Pierres grises et les Eaux noiresHors compétition (Prix spécial)
Le fils de Dédale 14
Dione ou le mythe d’Icare 9
Dans le labyrinthe des réseaux 16


II – Prix Coup de cœur


Le Prix Coup de Cœur de l’AFPEAH connaît déjà sa septième édition et son succès ne se dément pas, bien au contraire puisque ce sont plus de six cents élèves de collège et de lycée qui ont défendu leurs nouvelles préférées, avec beaucoup d’engagement et d’enthousiasme, sous la houlette d’une vingtaine de professeurs tout aussi enthousiastes et impliqués, des professeurs issus d’établissements publics et privés de France mais aussi de l’étranger.

Chez les collégiens, la nouvelle « Le Marquis et le Soleil » à la troisième place sur le podium avec 744 points fait d’Icare un beau paysan devenu marquis par le biais de son adoption. À l’instar de l’Icare du mythe, il néglige les recommandations de son père et se laisse gouverner par son hubris au point qu’il veut non seulement atteindre le soleil mais l’incarner en usurpant la place du «roi-Soleil » lui-même. Une « éclipse » consacre finalement la chute de celui qui n’a pas su voler à mi-hauteur, cherchant à s’élever toujours plus haut : l’usurpateur est finalement démasqué et définitivement châtié dans la lumière aussi révélatrice que fatale d’un « Soleil » de flammes incendiaires. Le second prix récolte 795 points : il s’agit des « Ailes du courage », une nouvelle inscrite dans les préoccupations et l’univers des collégiens puisque Skye, élève de troisième, prise dans le « labyrinthe » d’une vie, compliquée par l’accident mortel de sa mère, se trouve désorientée dans tous les sens du terme, incapable de décider de son avenir et de voler de ses propres ailes en dépit de ses rêves … C’est d’ailleurs à la faveur d’un rêve la confrontant à sa mère défunte que la jeune fille comprendra la nécessité, au risque de la chute, de trouver « les Ailes du courage » pour enfin se lancer…
Le premier Prix revient à la réécriture engagée « I-Car.e » qui totalise un très beau score de 1159 points. Dans un futur très proche, le fameux Skulemon lance le projet pharaonique de voitures ailées « I-Car » au mépris de toute préoccupation écologique et sociale. Après les robots ce sont désormais des humains vulnérables et jugés inutiles qui serviront de cobayes au péril de leur vie pour assouvir les appétits démesurés de fortune et de gloire du concepteur. C’est ainsi que le réfugié irakien Talos est sacrifié : trop brillant, trop irakien, trop proche d’Apollonia, la fille de Skulemon… Apollonia est bien celle qui comme Apollon purifie et guérit le monde ; or il s’agit d’un monde aux accents fascistes, captif de l’hubris, celle de son père et celle de « l’administration Trumpheus ». La jeune féministe hantée par les visages de Talos et de tous ceux qui ont été « supprimés » ramène beauté, bonté et humanité dans une société devenue barbare au prix de son sacrifice ultime. Celle qui meurt en plein vol à bord d’une voiture de son père devient une « étoile filante de la résistance ». Nouvelle Antigone, elle se dresse contre la figure paternelle et toutes les figures d’autorité de la société fasciste dans un acte de sabotage héroïque. Ainsi la diffusion de son application « I-Care » qui dénonce preuves à l’appui les crimes des milliardaires au pouvoir signe aussi son arrêt de mort… Echos à l’actualité et résonnances mythologiques se mêlent dans une réécriture qui sert aussi une réflexion philosophique. Notre humanité est désormais face à ses responsabilités : à elle de se libérer de son enfermement dans un « labyrinthe de soumission ». Sans aucun doute, l’art et la littérature y contribuent et ce très beau texte en est une illustration.

Chez les lycéens, une réécriture particulièrement originale et plaisante arrive en troisième position avec 200 points : « Prise de bec » qui met en scène Icare en « Jonathan Pigeon ». Le pigeonneau apparaît «un peu raté » comme le répète la commère « Agatha Pie » : il pourrait par sa balourdise finir comme «le fameux cousin Jonathus, qui avait achevé sa vie dans une assiette de porcelaine, entouré de petits pois». Or cette inadaptation nourrit un orgueil qui grandit en même temps que lui : le voilà qui se rêve au-dessus de la mêlée de tous les volatiles, sur un nid de nuages… Un nid rêvé aux antipodes du nid bien réel devenu trop étroit pour « lui et son orgueil » et qu’il faut en plus partager avec les Jonathor, Jonathim, Jonatha et autres Jonathas, ses frères et sœurs si ordinaires. Le jour venu, l’ingrat avide de gloire quitte sans un regard ses « pauvres parents » et se confronte alors à l’inconsistance de son rêve, nuage qu’il ne fait que traverser quand il voudrait s’y reposer, à l’image de ces rêves chimériques qui perdent ceux qui s’y adonnent. Bientôt a lieu la collision fatale avec le réel : c’est « un immense oiseau métallique » qui l’aspire dans l’une de ses turbines. la nouvelle s’achève avec le mot « Douleur ». Isolé dans une dernière phrase, il invite à discerner sous l’apparente légèreté de l’apologue et à travers les échos au mythe d’Icare la métaphore du désir humain éperdu d’absolu, de gloire et de reconnaissance universelle ; la « douleur » est bien à la fois la source et la conséquence de ce désir inextinguible.

« 伊卡洛斯 – Yikaluosi » est une fresque épique qui nous transporte dans la Chine du XXe siècle : elle obtient une belle deuxième place avec 209 points. Le héros éponyme est le fils de Daidaluosi, ancien guerrier tourmenté exilé dans « une cabane perdue dans la forêt de Qinshai ». Ce dernier raconte son histoire à Huilu le nomade, à l’écoute de celui qui donne « chair » à la légende de son fils. Daidaluosi est une figure de Dédale dont l’ambition est intelligemment dénoncée. N’est-ce pas Dédale qui, dans le mythe, a rivalisé avec les dieux, n’est-ce pas lui qui, fou de jalousie, a poussé son neveu ingénieux par-dessus les murs de l’Acropole ? Dans cette nouvelle poétique, est narrée l’épopée du père : un ambitieux issu d’une famille modeste, un autodidacte passionné par l’histoire. Jaloux de la promotion de son frère aîné, il rompt avec sa famille et se rend à la ville seul avec son fils, Yikaluosi, la mère étant morte peu après sa naissance. Les livres lui offrent un tremplin vers les plus hautes fonctions grâce à ses connaissances sur l’art de la guerre et le voilà promu préfet. Mais il devient impopulaire, le peuple se retourne contre son pouvoir autoritaire et il retombe plus bas que jamais, enfermé dans la prison qu’il avait lui-même fait édifier dans une forme d’ironie tragique ; son fils Yikaluosi pourtant pacifique est condamné avec lui « car dans la chute des plus grands, même les ombres sont arrachées ». L’enfermement s’avère particulièrement insupportable et les conditions de vie sont effroyables. Heureusement, ils parviennent à s’évader, déguisés en officiers, cet uniforme qu’avait endossé Daidaluosi avant de devenir préfet et qui sert désormais seulement de leurre pour tromper l’ennemi. Mais Yikaluosi, digne fils de Dédale, refuse de se « fon[dre] dans les ombres » et désobéissant à son père, il marche tête haute vers la porte d’entrée, vers la liberté, vers cette nature blanche et bleue baignée de lumière au point que le voilà aveuglé : les balles des sentinelles l’atteignent à mort. Reste la beauté de la légende qui leur survit et qui nous parvient : Icare a conjuré la mort, s’élevant au-dessus du commun des mortels, même la chute ne l’a pas tué.

La nouvelle la plus plébiscitée recueille 222 points. Il s’agit d’une « Tragédie » saisissante en cinq actes dont chacun nous rapproche de cette fin funeste qui explique le titre et qui est inscrite dès le premier acte datant du 29 novembre 1962, soit la naissance du Concorde, dans une prolepse implacable : « dans quelques années, cent-treize personnes, emportées dans le ciel par cette soif inextinguible de toujours défier les dieux, en perdront la vie. » Les actes II, III et IV retranscrivent dans une gradation les différentes étapes de l’avènement de ce « monstre de métal ». Comme Prométhée, les hommes se mesurent aux dieux dans un rythme haletant qui transcrit l’exaltation de ces « Dédales du XXe siècle » et qui culmine à l’acte IV : le décollage est réussi, « Dédale, Icare, l’Olympe tout entier n’ont qu’à bien se tenir ». Plus dure sera la chute qui survient « un jour comme un autre ». Les phrases nominales qui se succèdent en parataxe disent la brutalité de la sanction : « Une minute, vingt-huit secondes./ Explosion./ Rêve et hôtel brisés./ Cent-treize morts/ Fin du Concorde ». Comme dans la tragédie antique, les Dieux l’ont emporté, les hommes qui étaient pourtant incités à la prudence par le mythe d’Icare « bien ancré dans la mémoire collective » n’ont rien pu faire, le fatum antique était à l’œuvre. Le coupable est donc bien « l’Hybris » qui fait de l’humanité entière une incarnation de cet Icare qu’elle connaît sans le reconnaître en elle.

ill. (Ref : 22323) © RMN /René-Gabriel Ojéda (pour le labyrinthe utilisé dans le visuel).

  1. « Altius egit iter », Laudi, Gabriele d’Annunzio. ↩︎
  2. « Que les terres et les ondes / me fassent obstacle, soit ! Mais le ciel reste ouvert. Nous irons par là; / Minos peut bien maîtriser tout, il n’est pas maître de l’air. » Ovide, Métamorphoses
    ↩︎
  3. pour imiter les vrais oiseaux. ↩︎
  4. comme l’oiseau qui pousse du nid sa tendre progéniture. ↩︎
  5. « Liberté », P. Eluard ↩︎

Synthèse rédigée par Annabelle Presa, Nathalie Cullell et Tatiana Antolini-Dumas

En guise de complément, nous vous recommandons l’article d’Ève Guerra qui nous a aimablement autorisés à reproduire ici son texte.

Icare ou l’impersévérance

D’ordinaire, le mythe d’Icare évoque l’hubris, la démesure qui s’empare des hommes lorsque ceux-ci aspirent à dépasser leur condition. On peut voir en Icare la figure du poète, désireux d’atteindre par la langue les cimes, avide de survivre à sa propre mort, prouvant l’axiome de Fernando Pessoa selon lequel «la littérature est la preuve que la vie ne suffit pas.» Ainsi, la poésie serait le lieu d’un dépassement, la création d’un monde mieux que la vie elle-même, dont l’étymologie du mot «métaphore», moyen par lequel il tente d’atteindre la langue des anges, trahit son ambition : c’est qu’il y a dans l’idée même de métaphore ce désir inconscient d’ailleurs : méta (μετά), adverbe mais aussi préposition, désigne «l’après», «l’au-delà». Rien d’étonnant à ce que le geste d’Icare ait été perçu comme de la démesure et non comme un renoncement. Mais si l’on revient au mythe, un élément nous éclaire bien : c’est le labyrinthe lui-même, qu’Icare abandonne, lieu de persévérance, qui contient en son centre le monstre et le secret. Ainsi, renonçant à trouver la sortie ou le centre du labyrinthe, Icare s’abandonne lui-même en oubliant sa quête, et donc sa vocation. Le centre et la sortie ne désignent pas tant le monstre que l’accomplissement au terme d’une longue persévérance, lieu moins matériel que symbolique désignant un cheminement à la fois héroïque et spirituel, qui nous révèle à nous-même. 

Lire Magazine – novembre 2024

Ève Guerra est écrivain, professeur de lettres, de latin et de grec ancien. Son premier roman, Rapatriement, a reçu le Goncourt du premier roman en 2024. Elle est aussi l’auteur d’un recueil poétique, Corps profonds, publié en 2022. 

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