L’Opéra à l’écran

L’Opéra à l’écran


Alors que se tient le Salon des Formations artistiques (Montreuil, 7 et 8 décembre 2024), les étudiants peinent à se repérer dans les cursus dédiés aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel, tant, aux côtés des grandes écoles publiques telles que la Fémis ou Louis-Lumière, se multiplient les offres de formation. Une cinquantaine d’écoles, dans le privé notamment, préparent en effet aux métiers de l’audiovisuel et du cinéma 1. Des classes préparatoires destinées aux bacheliers présentant les meilleurs dossiers forment les étudiants désireux de réussir les concours des grandes écoles spécialisées.

Le recrutement est souvent sélectif, les formations sont exigeantes. S’il est conseillé d’avoir une sensibilité artistique pour choisir ce type de métiers, il faut être également en mesure d’enrichir sa motivation – voire sa passion – par une solide culture générale et cinématographique.

Dans cette optique, nous recommandons tout particulièrement aux étudiants L’Opéra à l’écran, ouvrage dirigé par Jean-Max Méjean. Tout d’abord parce qu’il s’agit d’un très bel hommage au cinéma et à l’opéra. Il permettra aux plus jeunes de découvrir des chefs-d’oeuvre qui ne sont pas tous des adaptations d’opéras, tels qu’Ivan le terrible d’Eisenstein, Ludwig : le crépuscule des dieux de Luchino Visconti, Citizen Kane d’Orson Welles… des classiques que tout étudiant ayant envie de consacrer sa vie au Septième art se doit de connaître.
Les contributions analysent les interactions formelles, esthétiques, symboliques, voire politiques qui se nouent entre cinéma et opéra dans la cinquantaine de films étudiés. Si l’influence majeure de certains compositeurs, comme Richard Wagner, est examinée dans toute sa variété, les textes réunis mettent également en évidence les processus créatifs qui sous-tendent et dépassent ces œuvres hybrides et singulières. S’intéressant à l’esthétique et à la narration filmique, c’est tout ce qui fait la spécificité et la densité de l’écriture cinématographique qui est mis en lumière dans cette somme qui interroge la notion d’artifice. Le dialogue du cinéma et de l’opéra reposant sur des jeux spéculaires et des interactions génériques et culturelles fortes révèle le rôle majeur que jouent la musique, la voix, le décor, le rythme et les couleurs dans toute grande narration filmique.


Entretien accordé à l’AFPEAH par Jean-Max Méjean

1) Comment l’idée de ce livre vous est-elle venue?

Nous avons porté le projet de ce livre pendant plus de trois ans, mais l’idée m’en était venue bien avant. J’avais, en 2017, co-écrit un livre sur Montmartre vu par le cinéma et je m’étais dit qu’il serait bon de faire un peu la même chose avec les deux opéras de Paris et de recenser, à travers des films français et étrangers, la manière dont ils ont été perçus et mis en scène. Malheureusement, l’idée n’a pas connu de suite. Cependant, c’est en travaillant sur ce thème et en recherchant des photogrammes des films concernés que je me suis dit qu’il serait peut-être bon d’envisager de façon plus large l’influence de l’opéra sur le cinéma que ce soit au niveau de la musique, de la mise en scène, de l’inspiration, et même bien sûr du lieu lui-même car les opéras, à commencer par le Palais Garnier à Paris, sont en général des endroits magnifiques, qui font rêver. J’ai, par ailleurs, eu la chance qu’une vingtaine de chercheurs, professeurs et artistes me suivent dans cette aventure ainsi que l’éditeur Gianni Gremese et le critique italien, Enrico Giacovelli, qui a apporté sa contribution à l’ouvrage : sa grande érudition lui a permis de proposer un très riche recueil d’illustrations et d’établir spécialement pour ce livre un index pratiquement exhaustif des films en lien avec l’opéra.

2) À quel public se destine cet ouvrage?

Notre livre n’est pas non plus une somme exhaustive, s’il s’intéresse aux particularités de l’écriture cinématographique, il a également pour but de donner envie aux spectateurs d’envisager le cinéma et l’opéra différemment. Je n’ai pas pensé écrire un livre pour un public en particulier, il s’adresse à tous, mais je ne voulais pas d’un livre trop savant ou trop snob, de façon à ne pas rebuter les cinéphiles qui ne connaissent pas trop l’opéra et, à l’inverse, les mélomanes qui n’iraient pas souvent au cinéma. En général, les livres de critique artistique sont un peu rebutants car souvent illisibles ou trop compliqués. Il n’est que de voir les notes d’intention de certaines expositions d’art contemporain ou conceptuel pour s’en faire une petite idée. Mais, maintenant, en le relisant, je constate qu’il peut aussi s’adresser à des jeunes qui sont soit étudiants, soit lycéens en classe option cinéma. Je pense également aux jeunes désireux d’approfondir leur culture générale et de découvrir l’opéra, car il est vrai que, souvent, les places à l’opéra sont assez chères or, il me semble que ce livre peut donner envie d’aborder cet art par le biais du cinéma.
Soucieux de promouvoir l’opéra, j’en profite d’ailleurs pour signaler ici que certains cinémas des réseaux UGC ou Pathé proposent des retransmissions d’opéras célèbres dans des théâtres fameux comme Garnier ou le MET à New York et ce, à des prix abordables. L’on peut également citer la plateforme de streaming « Medici.tv » (https://www.medici.tv/fr/operas) qui donne accès à un très grand nombre d’opéras, aussi bien des classiques tels que les oeuvres de Verdi, Mozart, Wagner, Offenbach ou Debussy que des œuvres contemporaines comme Melancholia de Mikael Karlsson, Alice in Wonderland d’Unsuk Chin ou Cendrillon de la très jeune Alma Deutscher…
 

3) Comment avez-vous sélectionné les films de votre recueil ?

En proposant cet ouvrage aux différents contributeurs, je n’avais pas d’idée précise de ce que je voulais. J’avais bien sûr en tête quelques titres de films qui me paraissaient indispensables, notamment les opéras adaptés au cinéma comme Carmen, Tosca ou Don Giovanni ou même La flûte enchantée. Et puis je pensais à d’autres titres parce que leur structure et leur mise en scène évoquent l’opéra, même s’ils n’en sont pas comme Ivan le terrible d’Eisenstein ou encore E la nave va de Fellini. Puis, c’est au fil de nos nombreux échanges en visioconférence (parce que les auteurs sont disséminés un peu partout en France et même à l’étranger), que nous nous sommes mis d’accord sur une cinquantaine de films qui nous semblaient incontournables. Nous n’avions pas la prétention d’être exhaustifs, ni l’envie d’écrire un dictionnaire. Toutefois, maintenant que le livre est imprimé, on me fait remarquer qu’il faudrait écrire un deuxième tome dans lequel on pourrait évoquer Le Vaisseau fantôme de Michael Curtiz, réalisé en 1941, Parsifal de Hans-Jürgen Syberberg, un Carmen vu par Chaplin dans lequel il interprète Don José et Edna Purviance, Carmen…

4) Pensez-vous que l’opéra soit encore apprécié des plus jeunes?

Je vais fréquemment écouter des opéras, pas nécessairement dans un opéra d’ailleurs. Je me rends souvent au Théâtre des Champs-Elysées qui propose des opéras mis en scène, mais aussi des opéras concerts qui reviennent moins cher à produire et je suis toujours agréablement surpris d’y voir des jeunes aux places les moins chères (autour de 15 euros, soit une place de cinéma) dans les loges du poulailler. Ce théâtre art déco est un endroit superbe qui magnifie la musique et le spectacle. Je milite pour que les jeunes puissent connaître ce type d’expériences, fatigué d’entendre dire en vain depuis des années que l’Etat va favoriser l’art auprès des jeunes alors qu’il fait de moins en moins d’efforts dans ce domaine. C’est pourquoi, j’ai tenu à ce qu’il y ait aussi dans ce livre, pour éviter qu’il ne traite que d’oeuvres difficiles d’accès et parfois un peu austères, des films comme Diva de Jean-Jacques Beineix, Annette de Leos Carax et surtout Ténor de Claude Zidi Junior qui marie à la fois le rap, la banlieue, le Palais Garnier et le bel canto grâce à la participation de Roberto Alagna.




5) Faut-il être plutôt mélomane ou plutôt cinéphile pour apprécier cet ouvrage ?


Très bonne question, et je vous remercie de me l’avoir posée, même si je ne connais pas la réponse. Je dirais peut-être qu’il faut être un peu des deux, ou rien du tout. Encore une fois, ce livre a vu le jour grâce à la passion qui anime tous ceux qui ont participé à son écriture. De mon côté, je ne pense pas qu’il faille être plus mélomane que cinéphile, ou vice versa. Je pense qu’il suffit d’être curieux tout simplement, d’autant que la plupart des films sont très connus, et pas nécessairement en raison de leur relation avec l’opéra. Au contraire, un cinéphile qui adore l’un des cinquante films analysés sera peut-être ravi de découvrir que la partition musicale qui structure le récit filmique a été empruntée au répertoire de l’opéra, comme c’est le cas pour Orange Mécanique ou Apocalypse Now, par exemple. De même que certains amateurs d’opéra pourront sans aucun doute être étonnés de voir comment est traité le lieu opéra dans des films aussi variés que La Grande Vadrouille, Fitzcarraldo ou encore Le Parrain 3 !

6) Quel est votre film préféré dans la longue liste (presque 1000) des œuvres répertoriées ?

Je suis toujours embarrassé d’avoir à répondre à ce genre de question car j’ai l’esprit changeant. Le titre que je risque de vous donner aujourd’hui ne sera pas le même que celui que j’aurais à l’esprit si vous me posez la question l’année prochaine par exemple… J’ai un faible pour E la nave va car je suis un grand amateur de Fellini que je connais bien, et puis aussi parce qu’il donne une vision moderne et clownesque de l’opéra tout en conservant la magie et le prestige de sa musique.


Comme deuxième titre, je serais tenté aujourd’hui de vous proposer La Stratégie de l’araignée de Bertolucci parce qu’il arrive à l’essence même de l’opéra par la manière de traiter les décors (une ville déserte à la De Chirico qui pourrait être le lieu idéal d’un opéra tragique). Et enfin, bien sûr, Don Giovanni de Losey qui parvient à garder le mystère de l’époque, l’élégance de Venise et de sa région ainsi que la tristesse de ce personnage mortifère. Je pense que Losey a été l’un des premiers grands réalisateurs à donner envie au public de renouer avec l’opéra par l’intermédiaire du chanteur hors pair, Ruggero Raimondi devenu immortel grâce à la conjugaison magique du cinéma et la musique.

7) Quel serait votre opéra préféré?

Je vais vous donner le même début de réponse. Cependant, pour ce qui concerne l’opéra, étant originaire de Nîmes, la ville de la tauromachie et de l’esprit gitan, je répondrai bien sûr Carmen dans lequel ma cousine chanteuse d’opéra avait interprété le rôle de Micaëla. Je l’ai souvent vu jouer dans les arènes de Nîmes avec une vraie corrida, impensable de nos jours où la ville a opté pour les concerts rock tandis que les corridas sont huées par leurs détracteurs. Je me souviens que j’ai découvert cet opéra chanté par la Callas, et que je me le passais en boucle et à fond. Mais je pourrais aussi ajouter La Flûte enchantée pour son mystère maçonnique et sa magie, ou La Traviata pour sa musique si triste et si romantique.

8) Comment avez-vous recruté les divers auteurs ?

Une vingtaine de contributeurs ont participé à cet ouvrage. Ce sont majoritairement des critiques, des professeurs, des artistes, des chercheurs, ils s’intéressent tous au cinéma et ont des domaines de spécialités complémentaires. Le réseau qui les a réunis n’a cessé de croître. Au fil des propositions et des échanges, nous nous sommes retrouvés autour d’une vingtaine de personnes, passionnées par l’idée d’un ouvrage qui mesure l’influence de l’opéra sur le cinéma. Certains d’entre nous étaient de plus désireux de donner envie d’aller au cinéma, d’autres à l’opéra. On ne peut pas dire qu’il y ait une hiérarchie : certains auteurs n’ont voulu parler que d’un seul film, quand d’autres ont écrit quelquefois cinq ou six textes. Ce n’est pas un livre qui pourrait s’écrire seul, non parce qu’on ne pourrait pas trouver un critique capable de rédiger un tel ouvrage, mais parce qu’il me semblait nécessaire qu’il soit tissé de plusieurs sensibilités. La multiplicité des approches et des regards donne, me semble-t-il, toute sa richesse au recueil.

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Jean-Max Méjean est critique et écrivain de cinéma. Il a publié des ouvrages sur Federico Fellini, Woody Allen, Pedro Almodovar, Emir Kusturica, entre autres. Rédacteur de la revue Jeune Cinéma (https://www.jeunecinema.fr/), il est aussi critique sur le site https://www.iletaitunefoislecinema.com/. Il a dirigé de nombreux livres collectifs comme Sergueï Paradjanov, cinéaste, trublion et martyr (Jacques Flament éditions) ou encore Comment parler de cinéma? (L’Harmattan), mais aussi pour des revues comme CinémAction et Métamorphoses. Derniers ouvrages parus : Rimbaud, cinéma (Jacques Flament éditions) ; Montmartre et ses alentours mis en scènes (avec Jean-François Pioud-Bert, éditions Espaces & Signes, collection Ciné Voyage ; L’Atalante (Gremese, collection Les meilleurs films de notre vie) ; Brassens et ses amis. Les animaux, les femmes et les chansons (éditions Camion Blanc) ; La grande vadrouille de Gérard Oury (Gremese, collection les Films sélectionnés). Il a également dirigé en 2020 le livre collectif Bruno Dumont, un funambule de génie, aux éditions Jacques Flament et, en 2021, ainsi que Roman Polanski aux éditions Gremese international.

  1. https://www.cnc.fr/cinema/dossiers/ma-classe-au-cinema—les-metiers_1926797 ↩︎

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