L’Étranger, de Camus à François Ozon
Ca fait six mois qu’on attendait ce film en se rongeant les sangs : Voisin n’est-il pas trop jeune et trop « minet » et comment ? Ozon ose se confronter à la littérature française et à Luchino Visconti qui, pourtant, malgré la présence de Mastroianni, avait quand même raté son « Etranger ». Eh bien, on ressort rassuré : le film est noir à souhait, l’image est très belle, on se croirait à Alger dans les années 1938 et pourtant il paraît que c’est filmé à Tanger.
Ozon, on n’en doute plus maintenant, est arrivé à son acmé et il donne à son film une dimension métaphysique et ontologique sur cet homme étranger à la vie sociale et qui passe à travers les sentiments que chacun éprouve ainsi que les conventions sociales.
On ressent bien – entre Dostoïevski et Bresson pour la caméra – souffler le doute sur nos petites vies mesquines et cette mort qui nous traque partout, cette existence souffreteuse sur laquelle se sont penchés ensuite les existentialistes – juste après la Deuxième Guerre mondiale anéantie par la Shoah et les millions de morts – et desquels s’était quand même un peu détaché Albert Camus lors de son différend, notamment avec Sartre, sur le problème de Dieu.
Le film est fort, les acteurs sont superbement dirigés, tous, à commencer par Benjamin Voisin qui, par moments, arrive à ressembler à Gérard Philipe, mais aussi la lumineuse Rebecca Marder, Pierre Lottin génial en proxénète gueulard, Denis Lavant dans un rôle ingrat de petit homme au chien, tous des personnages camusiens, mais aussi Swann Arlaud qui apparaît seulement à la fin dans un accablant noir et blanc et dans un rôle de prêtre que n’auraient renié ni Pialat, ni Bernanos. De plus, ce qu’on craignait n’est pas vraiment arrivé : le film ne sacrifie pas trop à la bien-pensance actuelle et c’est tant mieux. Bravo monsieur Ozon et toute son équipe !!
Jean-Max Méjean