Lexique : Laisserons-nous le monde se décolorer?

Lexique : Laisserons-nous le monde se décolorer?

« Bourrage de crâne » et problèmes de vocabulaire

Alors que les détracteurs de l’instruction associent l’acquisition de connaissances à du « bourrage de crâne » et présentent Internet comme le remède à tous les maux, nous continuons à affirmer que la Toile ne constitue pas une panacée. Ne serait-ce que parce que les difficultés en vocabulaire de nos élèves leur portent  préjudice quand ils font des recherches.

Rien d’étonnant à cela, car « lorsque nous lisons un texte inconnu, nous avons besoin de connaître le sens de 95% du vocabulaire pour le comprendre. » [Daisy Christodoulou: 7 contre-vérités sur l’éducation, La Librairie des écoles, 2018,  80]

Or nous constatons chaque jour que que nos élèves sont bien loin de maîtriser un tel stock lexical. Des mots très courants leur posent problème. Pour ne donner que quelques exemples, l’un d’entre nous s’est aperçu, ces derniers jours, qu’en 5e, certains de ses élèves ignoraient le sens des mots suivants : « invariable », « douanier », « introduire », « écume », « dé à coudre », « borgne », « funérailles »…

Au fil des lectures, nous devons bien faire ce terrible constat : les termes génériques suffisent désormais à nommer le monde : « fleur », « arbre », « oiseau », plutôt qu’ « oeillet d’Inde », « acacia » ou « chardonneret »…

Une étude récente, Why Closing the Word Gap Matters: Oxford Language Report [2018] montre que plus de 40% des élèves au Royaume-Uni ont un vocabulaire limité, ce qui les pénalise dans la compréhension des consignes, dans leur accès à la lecture et à l’écriture…
Pour acquérir un stock lexical conséquent, le petit enfant doit, on le sait, entendre un certain nombre de mots quotidiennement. La quantité ne fait pas tout : les interactions parents/enfants restent fondamentales surtout si l’adulte prend en compte les centres d’intérêt de l’enfant, varie les approches, utilise les mots dans des contextes différents… La lecture constitue enfin un moyen d’accès privilégié à un vocabulaire riche et varié qui permettra à l’enfant d’exprimer ses émotions, de désigner le monde, d’apprendre à lire aisément, de s’instruire…

Nos sociétés contemporaines manquent-elles d’ambition?

Et pourtant, pour un grand nombre d’élèves, l’écrit devient de plus en plus hermétique. Faut-il donc leur présenter des textes au rabais, simplifiés à l’extrême dont la pauvreté lexicale devient la marque de fabrique? Ou au contraire, faut-il continuer à leur proposer des oeuvres de qualité?

En n’offrant pas aux élèves le moyen d’enrichir leur vocabulaire (c’est-à-dire en ne rendant pas au français ses heures perdues), nous les empêchons d’accéder à des textes de qualité, porteurs d’un savoir sur le monde et l’humanité, nous compromettons leurs possibilités de comprendre l’univers qui les entoure et compromettons donc leurs chances de s’y épanouir.   

Et Internet dans tout ça?

Internet constitue-t-il un palliatif satisfaisant ? Non, car ainsi que le rappelle, E.D. Hirsch : « Il faut des connaissances pour acquérir des connaissances. » [Cité par Daisy Christodoulou, 79].

Force est donc de constater que nos élèves les plus fragiles (de plus en plus nombreux) sont incapables de hiérarchiser les informations glanées sur la toile, ne serait-ce que parce qu’ils ne les comprennent pas. Il s’avère, malheureusement, impossible d’accéder au savoir véhiculé par Internet sans disposer du minimum requis, sans pouvoir établir de lien entre les mots et leur signification.

NB : En feuilletant un abécédaire de 1930 que Gallica a récemment mis à la portée de ses lecteurs, nous remarquons qu’il proposait aux jeunes enfants qui apprenaient tout juste à identifier les lettres, les mots « mélèze », « rotin », « réverbère », « vignoble », « farandole », « fauvette », arlequin », « dattier », « échasses », « dais », « aigrettes »…

Quel chatoiement! Renouons avec une telle ambition sous peine de voir notre monde se décolorer, perdre toute sa saveur et son intérêt.


Si la lecture nous semble essentielle pour acquérir du vocabulaire, nous vous conseillons aussi le site de Vocanet (Une démarche novatrice et un dispositif simple pour l’enseignement du vocabulaire à l’école)
http://www.vocanet.fr/index.php

     

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