Réouverture des écoles
« Vendredi 1e mai 2020
Chers collègues,
Bien avant la décision de fermeture des écoles, comme beaucoup d’autres avant moi, j’avais été choquée par l’inconscience de nos instances dirigeantes qui refusaient de voir l’évidence c’est-à-dire la vague qui allait nous submerger. La décision de fermeture des écoles a été prise trop tard, malgré les alertes des autres pays (Matteo Renzi nous suppliait de réagir dès début mars).
J’ai donc assuré ma classe les 12 et 13 mars avec des gants, en maintenant les élèves à distance, en isolant ceux qui toussaient, la peur au ventre … J’ai fini le vendredi 13 mars à 16h30 secouée de sanglots dans ma classe, détestant la maîtresse que j’avais été pendant ces 2 jours, pleurant aussi la fin d’une époque d’insouciance que je savais disparue pour longtemps.
Aujourd’hui, malgré 30 000 morts en France (24 000 morts à l’hôpital et en EHPAD et au moins 6 000 à domicile) et des centaines de milliers de malades (sinon des millions car beaucoup n’ont pas été testés), la France a décidé de rouvrir ses écoles sous prétexte de réparer les inégalités sociales. Ce serait vous faire offense de penser qu’un seul d’entre vous y croit. Il s’agit donc de faire redémarrer l’économie en faisant de nous des « nounous » avec un protocole sanitaire de 63 pages impossible à respecter surtout pour nos collègues de maternelle.
Alors, bien sûr, nous faisons partie du service public et il faut l’assurer. Je rends d’ailleurs hommage à tous ceux d’entre vous qui ont été volontaires pour garder les enfants de soignants et ont ainsi fait honneur au service public par leur engagement. Vous avez mon admiration, elle est sincère.
Cependant, là encore, la France prend la décision d’ouvrir les écoles sans tirer leçon des erreurs et des choix de ses voisins.
(https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/effectifs-reduits-cours-a-l-exterieur-temps-partiel-comment-sorganise-la-rentree-des-classes-a-l-etranger_3939993.html#xtor=CS2-765-[twitter]-).
Quand on a vu, comme moi, pendant ces 7 semaines, des dizaines de personnes de mon entourage être gravement touchées, près d’une dizaine d’entre elles hospitalisées, plusieurs en réanimation dont un qui y est encore, ma tante et mon oncle décédés, le médecin de famille de mes parents décédé aussi, on a peur pour soi et pour ses proches.
Mais au-delà de cela, cette fois, ce n’est plus seulement la santé des adultes qui est en cause mais aussi celle des enfants, de nos élèves avec les doutes qui planent suite aux alertes des hôpitaux britanniques, américains et de Necker et Trousseau chez nous.
Je viens à l’instant d’avoir l’information selon laquelle l’enfant de 9 ans d’une connaissance vient d’être hospitalisé suite à des problèmes cardiaques après avoir eu les fameux signes « bénins » de COVID19 il y a quelques semaines : soit orteils rouges et gonflés, éruptions cutanées. Cela n’a peut-être rien à voir, mais peut-être que si …Ce dernier événement en tout cas m’a confirmée dans mon choix et m’a amenée à rédiger ce texte : je refuse de prendre part à cette terrible erreur que serait la réouverture des écoles en zone rouge, là où le virus circule encore beaucoup.
Je refuse d’envoyer toute lettre aux parents concernant la reprise. Je refuse de participer à une réunion préparatoire mardi. Je refuse de venir assurer la « classe » en présentiel le 14 mai. Je m’oppose à la réouverture des écoles en Ile-de-France.
Je suis en revanche tout à fait prête à assurer bien sûr la continuité pédagogique en distanciel voire à recevoir sur RDV à l’école les familles (de façon à ce qu’il n’y ait pas de contact entre elles) qui auraient besoin d’aide pour les apprentissages mais …une par une et uniquement si enfants et adultes portent un masque.
Je ne me cacherai pas derrière un arrêt maladie.
Je ferai valoir mon droit de retrait et j’en assumerai les conséquences : retrait de salaire et éventuelles sanctions disciplinaires. Mais au vu de la situation, je n’ai pas seulement l’impression de me protéger et de protéger mes proches dont un en situation de vulnérabilité par rapport au virus (Ce qui en soi déjà, est à mes yeux un motif tout à fait valable) mais aussi de protéger tous ceux que je serais amenée à côtoyer dans le cadre d’une reprise : collègues, animateurs, personnel d’entretien et …désormais, élèves dont la prétendue invulnérabilité face au virus est loin d’être prouvée ! »
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« Samedi 2 mai,
Je suis professeur des écoles, je viens de lire le témoignage d’une de mes collègues et partage la même inquiétude qu’elle sans compter que je ressens un fort sentiment d’injustice. Le ministère crée tellement d’inégalités au sein de la profession.
J’ai l’impression d’aller au « casse pipe », au détriment de ma vie et de celle de ma famille. On nous demande l’impossible. Nous sommes dans une impasse.
Nous concernant, nous devons aller en classe du 12 au 25 mai. Je travaille en ULIS-école, j’exerce donc avec des élèves qui nécessitent un enseignement adapté.
Suite à un sondage, 3 élèves sont censés venir, les 9 autres resteront chez eux, mais veulent du travail, du lien, des appels téléphoniques.
Comment s’organiser ? Tout le monde est stressé. Comment procéder, ne serait-ce que parce qu’il est impossible de faire respecter les gestes barrières à des enfants handicapés ? Peut-on garantir leur sécurité, la sécurité d’enfants plus vulnérables que les autres ?
L’AESH Co de la classe sera présente mais laissera son enfant de 9 ans seul. Et ce, pour venir m’aider. Elle est fantastique. L’autre AESH ne pourra pas venir car sa mère est « personne à risque ». Comment allons-nous faire, car avec l’enfant dont elle s’occupe, les gestes barrières ne seront pas envisageables? Enfant non verbale, non autonome, elle ne peut aller aux WC, ni se nourrir seule. Nous ne savons pas encore si cette élève sera scolarisée.
Actuellement, je passe une heure par jour, avec les éducateurs, les AESH, les parents, les enfants. L’inspecteur a dit qu’un collègue assurerait l’enseignement à distance pour nos élèves quand nous serons en classe. Mais où est le côté social, là ? On travaille avec de l’Humain, nos élèves ne sont pas des machines. Ils n’ouvrent pas leur cœur facilement. Si je n’assure que sur le terrain, je perds les autres, je perds le travail de confiance qui se construit sur des années.
J’aime mon métier et mes élèves et pourtant, je suis terrorisée à l’idée de retourner en classe, terrorisée pour moi, mais aussi pour mon enfant, car je dois l’emmener lui aussi à l’école.
Je suis terrorisée de transmettre le covid à mon mari, qui, il y a un an, faisait une embolie pulmonaire et qui est, de ce fait, « personne à risque ». Je suis d’autant plus inquiète que sa soeur a contracté cette maladie à l’école, en petite section, ainsi que ses neuf autres collègues…
Mais il y a des priorités économiques ! Dans ma famille aussi, c’est une réalité. Mon mari est un tout petit auto-entrepreneur qui arrive en temps normal à payer tous ses frais, : loyer, publicité, crédits…. Mais cela fait un mois et demi qu’on vit sans rentrées d’argent de son côté, tandis que les frais liés à son entreprise demeurent. Alors oui, il doit reprendre, il en a envie et c’est nécessaire.
Je suis en colère et dégoûtée, terrifiée à l’idée que, malgré moi, je risque de contribuer à amener la deuxième vague. »